Tout le monde aime Jeanne
Analyse du film : Tout le monde aime Jeanne :
C’est d’après Jean ce que les garçons se racontaient au lycée. Nous pourrions ajouter : tout le monde, sauf Jeanne elle-même.
Mais vous aimez vous Jeanne ? Si on se limitait au titre du film, beaucoup d’entre nous pourraient dire Tout le monde n’aime pas Jeanne, ou bien Je n’aime pas Jeanne. Laissez-vous porter et allez voir ce film, vous ne serez pas déçu.
Jeanne brillante ingénieure, entrepreneuse, dirige un projet révolutionnaire : son invention va nettoyer avec simplicité les océans de leurs déchets plastiques. Mais le lancement tourne à la catastrophe et l’appareil s’enfonce dans les eaux. Croulant sous les dettes, Jeanne est ruinée. En accord avec son frère, Simon, elle se résout à partir à Lisbonne, pour mettre de l’ordre dans l’appartement de leur mère Claudia, décédée quelques années plus tôt, avant de le vendre. À l’aéroport, elle croise un homme étrange : Jean. Celui-ci est un ancien camarade de lycée, qui part aussi pour Lisbonne.
La réalisatrice Céline Devaux parle d’expatriation pour son premier long métrage, mais aussi de l’anxiété individuelle face aux injonctions et aux doutes qui nous possèdent souvent. Dans un monde où la circulation de l’information est indomptable et omniprésente, il est désormais difficile d’envisager l’avenir de façon sereine. Tout le monde aime Jeanne est une comédie sur la dépression qui raconte avec une certaine fantaisie ces tracas qui nous traversent lors d’une période de trouble existentiel. Jeanne a toujours eu une relation contrariée avec sa mère, qui ne lui a jamais verbalisé son amour, craint énormément de ne pas être à la hauteur et s’est construit une carapace de sarcasme pour maintenir les autres à distance. L’arrivée dans sa vie de cet ancien camarade va bousculer ses habitudes. Envahissant, déroutant et souvent planétaire, cet homme va finalement fissurer son bouclier pour trouver une place de plus en plus importante dans ses pensées alors qu’elle tente de s’émanciper de ses fantômes familiaux, sentimentaux.
Cet état d’angoisse permanent qui parasite l’existence de Jeanne surgit à l’écran sous forme de passages animés, apparitions dessinées d’un petit fantôme chevelu qui exprime au spectateur les pensées et ressentis intimes de son personnage principal. Ce petit fantôme a été dessiné par la réalisatrice elle-même, Céline Devaux, qui lui prête également sa voix. Ce petit fantôme animé, bavard et hilarant, oppresse Jeanne et la tourne en ridicule, au point de lui avoir fait perdre toute confiance en elle. La dynamique psychologique du récit repose sur cette opposition structurante entre l’intériorité du personnage principal et le monde extérieur, qu’il s’agisse du regard des autres ou des espaces traversés.
Tout le monde aime Jeanne dresse avec une épatante maturité le portrait d’une femme qui apprend à ouvrir les yeux sur le monde qui l’entoure et plus encore sur elle-même, à mettre les mots sur sa dépression, à s’émanciper du regard des autres… mais aussi à faire, tardivement, le deuil d’une mère trop peu démonstrative à son goût.
Philippe Cabrol