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Mars express

Analyse du film : Mars express de Jérémie Périn avec les voix de Léa Drucker, Mathieu Amalric.

Sept ans après avoir été révélé par la série Lastman, Jérémie Perin a réalisé pour le cinéma Mars express. À mi-chemin entre le film noir et la science-fiction cyberpunk, Mars Express a été présenté au Cinéma de la Plage du Festival de Cannes 2023. Un long métrage qui prouve une nouvelle fois la vitalité de l’animation française.

Nous sommes au XXIIe siècle, l’explosion démographique et la raréfaction des ressources ont transformé la Terre en bidonville à ciel ouvert, au sein duquel les humains sont condamnés à la pauvreté, tandis que les robots forment un nouveau prolétariat., corvéables à merci. Des colonies ont été installées un peu partout dans la Galaxie, dont la plus grande Mars. Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse. De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de Jun Chow, une étudiante en cybernétique disparue. Noctis est leur ville, une utopie libertarienne rendue possible par les progrès en robotique. Au fil de leur enquête, ils seront confrontés aux plus sombres secrets de leur cité : ses institutions corrompues, ses trafics, ses fermes cérébrales, et les magouilles des toutes puissantes corporations. Mais des tueurs cyber augmentés ont eux aussi pris pour cible Jun Chow. Aline et Carlos se lancent dans une course désespérée pour sauver cette jeune femme qui, sans le savoir, détient un secret capable de menacer l’équilibre précaire sur lequel repose leur civilisation.

Ce film d’animation était attendu avec beaucoup d’ impatience parce que les films d’animation français qui lorgnent du côté de la SF pour adultes se comptent sur les doigts d’une main, parce que ce long-métrage «débarque au bon moment» en plein débat sur les progrès toujours plus inquiétants de l’intelligence artificielle. En tant que cyberpolar Mars Express aligne les ingrédients du genre: les droïdes «augmentés», les cerveaux reformatés, les langages informatiques, les corps humains refaçonnés, les transmissions télépathiques, les véhicules customisés, l’armurerie dernier cri, la révolte souterraine des robots, …

Les robots, dans ce film, représentent une métaphore de toutes les peronnses mises à la marge. Concernant la technique adoptée pour le film, tous les humains de Mars express sont en animation D2 traditionnelle, à l’inverse tous les robots sont en image de synthèse 3D. Quand le réalisateur entendait régulièrement parler des projets de Jeff Bezos ou d’ Elton Musk, obsédés à l’idée d’aller sur Mars, il a décidé de travailler autour de cette utopie des GAFA. C’est pour cette raison que l’extérieur de la cité de Mars, dans le film, est clinquant et que les sous-sols sont sordides.

Tout est limpide, fluide, captivant tant dans le récit que dans la composition et l’animation des scènes, l’intrigue navigue ainsi entre la présentation des nouveaux faits sociaux (le phénomène de « déplombage » des robots orchestrée par des réseaux de hackers pour leur rendre leur liberté, les étudiants qui vendent leur temps de cerveau disponible pour payer leurs études) et les nouvelles perceptions de la réalité (la possibilité de contacter les gens par la pensée, de scanner les environnements, de projeter des hologrammes de télésurveillance). Les différentes étapes de l’enquête s’enchaînent en effet avec une logique implacable. Le film repose sur un vrai jeu de pistes. Sont essaimés tout au long du film des indices qui permettent de comprendre comment fonctionne le monde de Mars express. On reconnaît l’esprit de Blade Runner le film de Ridley Scott, côtoyant l’atmosphère du Chinatown de Roman Polanski. La référence à Philip K. Dick est également présente. Mars Express regorge aussi d’inspirations diverses dans la japanimation et le cinéma de science-fiction américain des années 1980 et 1990. Le film reprend méthodiquement les environnements glauques typiques du cyberpunk et les articulations narratives propres au polar.

Excellent récit cyberpunk, le film aborde tous les éléments clés du genre : les méga-corporations obsédées par le profit, les IA en quête d’indépendance et de liberté, et le corps comme un objet de transaction. Mars Express nous plonge dans une dystopie futuriste où humains et robots doivent cohabiter. Les robots et autres intelligences artificielles voient leur libre arbitre contrôlé par les humains afin de les protéger contre d’éventuelles attaques de robots susceptibles de leur nuire. Cependant, certains défenseurs des IA cherchent à retirer cette sécurité pour redonner la liberté aux robots et leur permettre de satisfaire leurs désirs. Ce récit offre aussi un regard critique sur notre société. L’histoire du film soulève des questions essentielles : Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Sommes-nous prêts à sacrifier notre identité pour un confort de vie ? Pouvons-nous jouer avec les IA ? Qui du robot ou de l’humain a le moins de cœur ?

Tant pour l’ exploration des thèmes de l’intelligence artificielle et de la colonisation martienne, Jérémie Perin imagine une intrigue digne d’un film noir qui propose à la fois spectacle et réflexion. Mars Express présente des qualités indéniables en termes d’animation, d’interprétation et d’écriture avec une intrigue bien ficelée et une enquête immersive.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr