
Jeunes mères
Analyse du film : JEUNES MERES
Avec Jeunes mères, les frères Dardenne signent leur première chronique sociale plurielle et lumineuse.
Ils racontent cinq histoires, celles de cinq jeunes filles qui se libèrent d’un destin, d’une prison, chacune à sa façon.
Ce dixième long métrage de Jean-Pierre et Luc Dardenne a été présenté en compétition au Festival de Cannes. Et a obtenu le prix du scénario ainsi que le prix du jury œcuménique.
Jeunes mères de Luc et Jean-Pierre Dardenne, Belgique/France
Sortie le 23 Mai 2025, 1h45.
Avec : BabetteVerbeek, Elsa Houben, JanaïaHalloy-Fokan Lucie Laruelle, Samia Hilmi, India Hair.
C’est la première fois qu’un titre des frères Dardenne se décline au pluriel. Et cela change tout car le récit collectif, soit cinq adolescentes, confrontées à une maternité précoce, s’éloigne totalement des trajectoires individuelles auxquelles nous avaient habitués les deux cinéastes dans leurs précédents longs-métrages. Indiquons que Les titres de leurs films sont évocateurs, ils désignent l’héroïne ou le héros portant sur ses seules épaules le drame social : citons Rosetta (1999), Le fils (2002), L’enfant (2005), Le gamin au vélo (2011), Le jeune Ahmed (2019) ou encore Tori et Lolika (2022), premier titre désignant un duo de protagonistes.
À l’origine, les frères Dardenne sont allés visiter une « maison maternelle » près de Liège, en Belgique. Leur but était d’écrire un scénario sur une jeune mère. Une fois sur place, les cinéastes ont été attirés par les moments de vie commune que partageaient ces adolescentes.
Les premières scènes de Jeunes Mères sèment le trouble. A l’inverse de ce qui se produit dans leurs autres films, ils mettent en scène, ici, cinq protagonistes, dans une maison maternelle qui devient le point d’ancrage du film.
Dans ce ce long-métrage, nous découvrons l’histoire de Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma (Naïma, que l’on ne voit que dans les premières séquences), hébergées dans une maison maternelle, leur « cocon », qui les aide dans leur vie de jeune mère. Ces cinq adolescentes ont l’espoir de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant.
Si ces jeunes femmes partagent avec les précédents personnages des Dardenne les vicissitudes des déclassés, elles échappent à l’urgence qui pousse habituellement les héros dardeniens dans le champ du thriller. En effet, jusqu’à ce long-métrage, une tension de plus en plus croissante accaparait le héros/héroïne et chacun de leur film traçait le chemin d’un seul personnage..
Les histoires de ces jeunes filles diffèrent, mais dans tous les cas persiste la crainte d’un schéma familial répété. Toutes sont issues de familles où règnent la pauvreté (économique et intellectuelle), la violence (physique, morale et sexuelle), et l’addiction (alcool, drogue). Mais si les erreurs peuvent se transmettre de génération en génération, rien n’est immuable, et le portrait de ces cinq jeunes mères est là pour le prouver. En dépit des disparités de caractère de chacune, des racines diverses de leur désir précoce de maternité, il y a de la sororité qui se diffuse et de l’amour à partir de petits gestes. Le lien est primordial et il commence au centre d’accueil des jeunes mères, ces maisons dites « maternelles », véritable lieu d’apprentissage des gestes, enseignés par des éducatrices.
Le choix des histoires permet de diversifier les personnages et leurs enjeux. Certaines sont encore enceintes, d’autres ont déjà accouché. Entourées par des équipes médicales et des soignantes, elles doivent apprendre à s’occuper de leur bébé à travers l’apprentissage des gestes du quotidien afin de devenir mère à part entière, ou bien se préparer à le confier à l’adoption. Tout est organisé pour les protéger et les responsabiliser. Et elles sont dans uns situation où cohabitent amour maternel, volonté de survie, sentiment de culpabilité. Et surtout, comment devenir mère alors que l’on est encore, soi-même, une enfant ?
Jessica n’a pas encore accouché et elle voudrait renouer des relations avec sa mère qui l’a abandonnée à sa naissance. Julie, au contraire, désirerait couper le cordon avec une mère envahissante et qu’elle veut éloigner de son bébé. Perla ne peut se sentir mère responsable que si elle entre dans un modèle familial traditionnel. Ariane a peur de retomber dans les pièges de la drogue.
A travers Jeunes mères, Les frères Dardenne continuent à explorer la misère de notre société, qui est la marque déposée de ces deux cinéastes. Après les dettes, le chômage, les sans-papiers, les trafiquants,…, ils s’intéressent à la maternité.
Dans ce film choral, sont analysés la construction du lien d’attachement entre ces jeunes mères et leurs enfants, le rapport à autrui et notamment aux bébés déjà considérés comme une personne, la pauvreté, la reproduction de schémas familiaux dysfonctionnels, les conséquences engendrées par les carences affectives.
C’est une fois de plus le même langage, le tournage à l’os, les longs plans- séquences (surnommés les alexandrins des Dardenne), les tranches de vie en direct, la manière de filmer les regards et les visages au plus près : de devant, de derrière, sur le côté, acteurs majoritairement non professionnels, articulation d’un ancrage social mais jamais les mêmes histoires, mais jamais les mêmes trajectoires, et toujours un socle solide : l’empathie pour leurs personnages et à travers eux pour l’humanité qu’ils incarnent.
Jeunes mères est bien dans la droite lignée du cinéma des frères Dardenne : un film social, à la dimension humaniste forte où l’espoir est permis. Les deux cinéastes offrent aux personnages une vive réalité de leurs forces et leurs faiblesses. Ce sont des mères larguées peut-être, mais des mères humaines.
Jeunes Mères est un hommage à la force et la solidarité des femmes. Perla, Ariane, Julie, Jessica devront prendre une décision capitale pour la suite de leur vie : garder leur enfant ou le placer. Elles ont à réparer ou à construire quelque chose. « Il nous semble que ces cinq jeunes mères nous ont conduits vers les émotions les plus fondamentales» Luc et Jean-Pierre Dardenne.
Cette œuvre est optimiste, la scène de la rencontre avec une ancienne professeure de l’une des filles, qui à partir d’ un poème mélancolique de Guillaume Apollinaire joue une sonate de Mozart est fortement symbolique.
A propos de Jeunes mères, les cinéastes ont déclaré « On n’explique jamais nos personnages. Ils doivent avoir en eux un noyau, quelque chose qui résiste aux interprétations les plus savantes».
Avec cette œuvre, à l’émotion discrète, qui impressionne par sa maîtrise formelle, les Frères Dardenne nous offrent, dans un style épuré, une bouleversante ode à la résilience.
Pour le jury œcuménique : ce film illustre une approche éthique non pas par de grandes démonstrations mais par des gestes bienveillants. C’est une histoire racontée avec douceur dans la meilleure tradition des auteurs qui, une fois de plus, sont capables d’apporter de la nouveauté à leur style épuré.
Le film explore la première et essentielle relation de toute vie humaine : la maternité. Cela nous ramène à une vérité profonde : l’amour peut perdurer, même quand la famille – cette structure sociale fondamentale – est défaillante, quand les circonstances sont défavorables, quand le fardeau des responsabilités d’adultes pèse sur la jeunesse. Ce film nous révèle que même les petits gestes persistants d’affection et de soin, qu’ils proviennent de personnes ou d’institutions, peuvent guérir les blessures les plus profondes.
Il y a 26 ans, Jean-Pierre et Luc Dardenne montaient les marches pour la première fois. C’était pour le film Rosetta. Et pour une Palme d’or. Et un prix d’interprétation décerné à Emilie Dequenne. Le vendredi 23 mai 2025, ils furent au pied du Palais des festivals avec de jeunes femmes, qui, avec Jeunes mères ont vécu leur toute première expérience de cinéma tout comme la regrettée héroïne de Rosetta, en son temps. Pour Luc Dardenne cela a fait écho à ce souvenir fondateur. « Comme cet après-midi passait Rosetta, aujourd’hui passe Jeunes Mères », souligne Luc Dardenne, qui dédie ce moment à Emilie Dequenne par leur film.
Philippe Cabrol
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