Login

Lost your password?
Don't have an account? Sign Up

Mystic River

Film à voir cette semaine à la télé : Mystic River, film américain réalisé par Clint Eastwood

Sur Arte, 20h50 dimanche 3 avril 2022

Clint Eastwood a fait une adaptation magistrale du polar de Dennis Lehane, racontant comment un meurtre perpétré dans la banlieue de Boston réveille le traumatisme de trois amis d’enfance. Ce film est l’une de plus belles œuvres de Clint Eastwood, son vingt-quatrième long métrage, polar noir et véritable descente aux enfers pour trois personnages. Jimmy Markum, Dave Boyle et Sean Devine ont grandi ensemble dans les rues de Boston. Rien ne semblait devoir altérer le cours de leur amitié jusqu’au jour où Dave se fit enlever par un inconnu sous les yeux de ses amis. Leur complicité juvénile ne résista pas à un tel événement et leurs chemins se séparèrent inéluctablement. Jimmy sombra pendant quelque temps dans la délinquance, Sean s’engagea dans la police, Dave se replia sur lui-même, se contenta de petits boulots et vécut durant plusieurs années avec sa mère avant d’épouser Celeste. Une nouvelle tragédie rapproche soudain les trois hommes : Katie, la fille de Jimmy, est retrouvée morte au fond d’un fossé. Le père endeuillé ne rêve plus que d’une chose : se venger. Et Sean, affecté à l’enquête, croit connaître le coupable : Dave Boyle… Mystic River va partir de ces trois personnages pour explorer leur personnalité et, à travers cette enquête, tenter de dresser un portrait de la société américaine, sombre et désespéré. »Une rue calme de Boston, où jouent trois petits garçons. Dave, un gamin gauche, à l’évidence le plus fragile du groupe, envoie leur balle de base-ball dans le caniveau. Ils essaient de la récupérer, en vain. La suite de Mystic River ne laissera guère de doute sur ce point : il s’est perdu là, à tout jamais, quelque chose d’irremplaçable. Chez Clint Eastwood, la vie ne réserve pas de deuxième acte. Toute perte – de l’innocence, de l’enfance ou de la vie – sera irrémédiable. En ouvrant son film sur l’instant symbolique où la balle est perdue, juste avant que ne survienne le grand traumatisme de l’enfance de ses trois héros, Eastwood donne le ton, solennel et grave, qui sera celui du film tout entier. Sans leur balle, les enfants s’ennuient. Jimmy, aussitôt imité par Sean, a l’idée de graver son nom dans une dalle de béton frais. Quand vient le tour de Dave, gronde un bruit de moteur. Une portière claque. Deux hommes prétendent être policiers et embarquent Dave. Les regards qu’échangent enfants et ravisseurs, la brutalité de l’homme qui presse Dave, le regard de Dave sur ses deux camarades de jeu restés dans la rue… Cette scène d’enlèvement est la matrice du film. Le déroulé de l’enquête et l’évolution des personnages vient sans cesse remettre en doute nos certitudes, faisant basculer la culpabilité d’un personnage à l’autre, faisant par moments de Dean le coupable idéal avant de nous faire changer d’avis, puis de nous mener à nous raviser encore une fois. Le film est composé de trois actes,  ces trois actes sont séparés par des plans du ciel qui suggèrent la présence de Dieu – qui reste désespérément muet. Jimmy raconte un meurtre qu’il a commis autrefois : « Je sentais que Dieu me regardait, sans colère », dit-il simplement. Ainsi Clint Eastwood regarde le monde. Sans colère. Et sans pardon. Notons que la Mystic River du titre coule en arrière- plan de l’œuvre. Symbole de Boston, elle cache en elle toute la violence de cette ville, qui apparaît peu à peu comme un élément déterminant de l’intrigue. Le quartier d’enfance des trois hommes, dans lequel habitent toujours Dave Boyle et Jimmy Markum, est marqué dès le début du film par un esprit communautaire très fort. C’est un lieu qui a sa propre conscience, sa propre identité, ses propres lois, le tout conditionnant l’existence de ses habitants. Il devient un protagoniste à part entière, un microcosme oppressant qui joue un rôle significatif dans les rapports entre les trois anciens camarades. Avec cette enquête criminelle et sur fond de tragédie, Eastwood poursuit son exploration du bien et du mal, de la solitude de l’individu et de la violence sociale. Tout cela est dit avec un sens de la mise en scène remarquable, dans un récit qui sait intelligemment ménager la tension jusqu’au bout. Le film inscrit la filiation comme l’un des thèmes principaux du long métrage, tout comme le crime et le mensonge. Un univers dans lequel les places de chacun ne semblent tenir que par accident, chaque personnage est au bord de la rupture. Le morcellement de chacun d’eux opère tout le film d’une séparation qui ne peut se délier, ils sont des handicapés en sursis où leur bonheur n’est qu’éphémère pour que le film se livre à une recherche de vengeance sans aucune échappatoire. L’intrigue du film est merveilleusement accompagnée par une réalisation classique et épurée. Signant une mise en scène limpide, permettant de suivre le moindre rebondissement, Clint Eastwood pousse son art jusqu’à ses limites, sans jamais tomber dans le trop-plein de sentiments ou le surplus d’effets. En témoigne le dénouement de la sublime scène d’affrontement entre Dave Boyle et Jimmy Markum. Un éclat de lumière blanche pour résumer en un électrochoc tous les tenants et aboutissants du drame que viennent de vivre ces personnages. Le cinéaste propose un travail d’une grande virtuosité sur la valeur des cadres et l’enchaînement des plans. Alors qu’il filme une histoire intime, il garde une certaine distance par rapport à ses sujets, jouant sur l’alternance entre proximité et éloignement. Mystic River est un chef d’œuvre tragique et brillant qui ne laisse aucun répit aux spectateurs. Une composition bouleversante du bien et du mal soutenue par un casting impeccable et une mise en scène élégante. Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr