Strange way of life
L’expérience Almodovar :
Strange way of life
Un western de 31 minutes réalisé par Pedro Almodovar ? Quoi de plus excitant sur le papier ? Mais le maître espagnol sait-il s’adapter aux contraintes narratives d’un court métrage ? Et à l’univers si particulier du western ? Promesse tenue : les fans ne seront pas déçus. Almodóvar, nourri de cinéma classique hollywoodien, joue ici avec les codes du genre et principalement celui de la vengeance, avec un grand respect et une forme d’allégresse.
Tout commence normalement, ou presque, comme dans un bon vieux western : un cowboy entre à cheval dans une petite ville de l’Ouest. En fond sonore, une romance latino chantée par une femme. Erreur : le plan suivant nous montre qu’il s’agit en réalité d’un homme … Premier grain de sable dans les rouages machistes traditionnels du western, et ce ne sera pas le seul. Ce cavalier sorti du désert vient retrouver celui qui fut son amant à l’époque où ils étaient tous deux tueurs à gages. Ce dernier est devenu shérif…
Le film, tenu, tendu par une mise en scène rigoureuse, réserve des surprises. La loi du désir devient la loi de l’Ouest. Et la finale, réjouissant et délicieusement pervers (on pense un peu aux Proies de Don Siegel), propose un spectacle déroutant : même les vieux hors-la-loi fougueux doivent un jour s’assagir – du moins en apparence, semble nous dire le cinéaste de 73 ans.
Ces 31 minutes sont un concentré d’Almodóvar.
La Voix humaine
En première partie de l’expérience Almodovar.
À l’origine, il y a une pièce en un acte de Cocteau, créée en 1930. Un monologue de femme brisée par une rupture, et dont on n’entend pas le correspondant téléphonique, le jeune amant enfui. Pas loin d’un siècle plus tard, Pedro Almodóvar en tire un court métrage inattendu, éblouissant par la variété de nuances qu’il déploie.
Androgyne, sans âge, à la fois altière et directe, irréductible à un type de personnalité, Tilda Swinton exprime la violence du désamour sans jamais faire de son personnage une victime. Elle qu’on a vue si souvent grimée et déguisée offre son visage à nu et apporte au film une présence justement humaine.
L’enfermement, dans un lieu et une obsession, inspire au réalisateur une magnifique idée : l’appartement est montré comme un décor de cinéma (ou de théâtre), lui-même contenu dans un vaste hangar sans fenêtre. L’héroïne y semble donc doublement prisonnière…
Avec ce dispositif original, Almodóvar invite son personnage à un geste que Cocteau aurait sans doute reconnu : quitter, dans un même mouvement, son décor et sa douleur, comme on traverse un miroir.
Philippe Cabrol