
Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé
Analyse du film : CE NOUVEL AN QUI N’EST JAMAIS ARRIVE
Ce premier long-métrage du cinéaste roumain Bogdan Mureșanu est un film choral sur les derniers jours de la dictature de Ceaușescu.
Par l’importance du collectif pour vaincre l’oppression, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé fait penser à des pans entiers de l’histoire de l’Europe contemporaine.
CE NOUVEL AN QUI N’EST JAMAIS ARRIVE de Bogdan Mureșan, Roumanie, 2h18.
Avec : Iuulian Postelnicu, Mihai Calin, Noicoleta Hancu, Emilia Dobrin, Andrei Miercure
Sortie en salle en France le 30 avril 2025
Quel titre de film détonnant, intrigant pour un européen occidental, mais certainement pas pour des roumains d’un certain âge. Le nouvel an auquel il est fait référence est et restera à jamais inoubliable. C’est en effet le 21 décembre 1989, à quelques jours de Noël, que le monde a basculé à Bucarest. Le pays est, à cette période, dirigé depuis quinze ans d’une main de fer par le dictateur communiste Nicolae Ceausescu. Ces quelques jours qui constituent une des révolutions les plus rapides de l’Histoire ont été largement racontés dans le cinéma roumain (Comment j’ai fêté la fin du monde (2006) de Cătălin Mitulescu, 12h08 à l’Est de Bucarest (2007) de Corneliu Porumboiu…).
Ce titre du film fait aussi référence à une émission de télévision, qui, n’a jamais été diffusée, puisque Nicolae Ceaușescu et son épouse Elena sont, le jour de Noël 1989, jugés, condamnés et exécutés à l’issue d’une procédure expéditive semblable à celles que le régime utilisait contre les opposants et les dissidents. Il est aussi une critique amère de la classe politique qui a pris sa succession. En effet, ceux qui ont
accédé au pouvoir après Nicolae Ceausescu provenaient du deuxième cercle de son entourage.
Signalons que Ce nouvel an qui nʼest jamais arrivé est né grâce au succès du court-métrage de Mureşanu The Christmas Gift (2018), qui a remporté en 2019 le Grand prix du Festival de Clermont-Ferrand. Dans ce court, un père découvrait que son jeune fils avait posté une lettre au Père Noël exprimant le vœu que « l’oncle Nick » (surnom par lequel tout le pays désignait le dictateur tout-puissant Nicolae Ceauşescu) meure, en guise de cadeau de Noël pour son père. Dans son long-métrage, le cinéaste ajoute cinq histoires à celle-ci, le jour où la Roumanie est au bord de la révolution alors que quelques jours plus tôt la police avait tiré sur des manifestants dans la ville de Timişoara et fait beaucoup de morts.
Quatre jours avant Noël 1989, les autorités préparent les festivités du Nouvel An comme si de rien n’était, ou presque, mais « le vernis officiel commence à craquer ». Dans l’effervescence de la contestation, six destins vont se croiser dans un climat de contestation et de répression au fil d’une journée pas comme les autres. Alors que le régime de Ceausescu vacille, les destins individuels se mêlent à l’histoire collective
En faisant évoluer sous une même temporalité six personnages distincts, aux occupations et horizons variés, le long métrage de Bogdan Mureşanu trouve une façon astucieuse de raconter un moment clef de l’histoire roumaine. Chacun des six personnages subit de plein fouet la politique, le fonctionnement du régime et l’usure économique. Parmi eux, un metteur en scène de la télévision nationale roumaine doit trouver une actrice pour tourner à nouveau une partie hommage à Ceausescu qui sera diffusé pour la veillée du nouvel an, l’actrice principale ayant fui le pays. Florina, en pleines répétitions de théâtre, est alors contactée, pour un tournage le lendemain. Un étudiant activiste prévoit de fuir à l’ouest avec des amis. Une dame âgée, mère d’un cadre du parti, va être expulsée d’un immeuble en cours de démolition…Les deux séquences les plus réussies sont celles avec Florina et l’ouvrier Gelu. Une phase introductive présente les six personnages et la construction doit beaucoup au Boléro de Ravel. L’histoire débute sur un tempo plutôt lent avant d’aller crescendo.
Le dictateur n’est pas incarné à l’écran, mais il apparaît à travers des photos officielles et des images d’archives.
Ce film montre les rouages des régimes communistes : écoutes, surveillances, dénonciations, spoliations, aveux forcés, pénuries, baillonnage de l’expression individuelle. La structure du film permet de mettre en lumière les différentes réactions de citoyens ordinaires face à la disparition d’un monde. Elle révèle également leur humanité, alors qu’ils vivent dans un monde de peur, de paranoïa, de désespoir.
Prix du Meilleur film Orizzonti & Prix Fipresci, Mostra de Venise 2024, Prix de la mise en scène & Prix Regards Jeunes, Arras Film festival 2024 et Pyramide d’or du meilleur film, Festival international du film du Caire 2024, Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé est une tragi-comédie savoureuse, drôle et grave et vient relater l’urgence politique dans laquelle se trouve à nouveau la Roumanie aujourd’hui.
« Bien que situé dans un passé, ce film peut être vu comme un reflet du présent et porte un avertissement sur le futur » a déclaré le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof à propos du film
Philippe Cabrol
#analysesdefilms #filmroumain #filmroumanie #festivalinternationalducaire #mostradevenise