Login

Lost your password?
Don't have an account? Sign Up

Tu ne mentiras point

Analyse du film : TU NE MENTIRAS POINT

Une communauté catholique d’une petite ville irlandaise vit dans l’ombre d’un couvent de la Madeleine et dans la perpétuation de l’autorité religieuse et de ses abus.

Ce film est l’adaptation du roman Ce genre de petites choses de Claire Keegan

Tu ne mentiras point de Tim Mielans, Irlande/Belgique/USA, 1h38.

Avec : Cillian Murphy, Clare Dunne, Emily Watson

Sortie dans les cinémas en France le 30 avril 2025

Irlande, 1985. Bill Furlong, marié et père de cinq filles, est un modeste entrepreneur dans la vente de charbon. Il essaie de maintenir à flot son entreprise, et de subvenir aux besoins de sa famille. A l’approche des fêtes de Noël, lors d’une livraison au couvent de la ville, il fait une découverte qui le bouleverse. Dans la ville et dans son couvent, il y a un secret. Cet homme en est le témoin. Ce secret longtemps dissimulé, un scandale qui implique une communauté religieuse puissante, va le confronter à son passé et au silence complice d’une communauté vivant dans la peur.

Croyant et dévoué à son Église, Bill alimente de charbon le couvent des Sœurs du Bon Pasteur, tenu d’une main de fer par Sœur Mary, mère supérieure autoritaire et glaçante. La congrégation religieuse assure l’enseignement pour les filles et donne une bonne éducation aux enfants des familles fortunées ou méritantes de la région dans son école privée.

Mais ces religieuses s’occupent surtout de la « réhabilitation morale » de jeunes femmes dites « perdues », qui doivent expier leurs pêchés et qui leur sont confiées par des parents couverts de honte.

Tous les habitants de New Ross le savent, mais feignent d’ignorer que les pensionnaires du couvent y sont enfermées contre leur gré, qu’elles sont brimées et exploitées. Tout le monde accepte la situation, sauf Bill Furlong. La situation de ces filles fait écho à son enfance. Il est l’enfant unique d’une jeune domestique devenue « fille mère » à quinze ans et, qui après avoir été rejetée par ses proches fut accueillie par Mme Willson. Bill sait qu’il doit à la générosité et à la charité chrétienne de l’employeuse de sa mère d’avoir pu grandir à ses côtés, dans les dépendances d’une maison de maître. Mais cet homme qui mène une vie apparemment stable avec sa famille, ne peut s’empêcher de faire le lien avec les épreuves vécues par sa mère lorsqu’il découvre par hasard les mauvais traitements infligés aux jeunes filles du couvent.

Tu ne mentiras point renouvelle le récit autour des blanchisseries Magdalene tristement célèbres en Irlande. Le film est feutré et elliptique sur les actes perpétrés par les religieuses. On ne voit jamais leurs agissements, leurs actes ne sont pas expliqués. On devine seulement la maltraitance de ces jeunes femmes et l’adoption forcée de leurs enfants. Le récit ne s’intéresse pas aux victimes et n’explore pas l’intimité de ces existences brisées. L’originalité du film réside dans la souffrance de subjectivation du héros. En effet le film est centré sur Bill Furlong, homme mutique au regard grave, muré dans la douleur, dévoré par une révolte sourde face à l’aveuglement collectif des témoins des horreurs des Magdalene Sisters. Le film raconte donc cette histoire au travers du parcours intérieur de cet homme à la fois fort et fragile. La question éthique du film est fort intéressante : doit-on fermer les yeux ? Doit-on parler ou ne rien dire ? Bill incarne une réponse juste aux injustices qui se jouent Plutôt que des actions spectaculaires, il préfère de petits gestes d’aide.

Selon le commandement de la Bible « Tu ne mentiras point », Bill se doit de briser le silence et dire la vérité, malgré les pressions et l’argent. Une scène forte et glaçante entre Sœur Mary et Bill mérite qu’on s’y attarde. Lorsque la religieuse donne à Bill une carte de Noël accompagnée d’argent et d’un mot de gratitude, le sous-entendu est clair. Cet argent sert à acheter le silence de cet homme et il le sait. L’horreur n’est-elle pas également présente dans ce système de complicité ? Les habitants de New Ross s’en accommodent et mettent Bill en garde « Ne te mêle pas de ça. » « Si l’on veut avancer dans la vie, il y a des choses qu’il vaut mieux ignorer » lui dira Eileen, son épouse.

La fin du film ne se termine pas par un acte de justice spectaculaire, mais par un geste, une rébellion silencieuse, un pas vers l’inconnu. Bill devient le symbole d’une conscience éveillée, et non d’une justice rendue.

Le réalisateur cherche à créer une atmosphère. Il n’y a pas de scènes spectaculaires, ni de musiques dramatiques Le rythme du film est lent. Le silence est présent dans chaque plan. Il n’y a pas besoin de paroles, de dialogues pour transmettre les bouleversements émotionnels. La bande sonore accompagne une mise en scène austère. Le scénario est très sombre ainsi que l’éclairage de l’image. La plupart du film se déroule la nuit. Le film montre souvent des espaces liminaires : des embrasures de portes, des couloirs sombres, des vitres embuées de camions.

Bien que ce film soit dédié aux quelques 10 000 victimes des Magdalene Sisters et aux enfants que ces religieuses leur ont enlevés, il n’est pas une dénonciation judiciaire et une critique de l’Église.

Derrière cette histoire, ce long-métrage est hommage à la bonté. Tu ne mentiras point est un drame où chaque geste compte face à un système corrompu. Il montre que toute personne possède, par son courage et sa force morale, « un socle d’humanité » pour éveiller sa conscience et poser des actes justes.

Philippe Cabrol

#analysesdefilms #EmilyWatson #emilywatson #clairekeegan #cillianmurphy

https://chretiensetcultures.fr