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Les Enfants rouges

Analyse du film : LES ENFANTS ROUGES

Les Enfants Rouges propose une plongée onirique dans la psyché d’un enfant confronté à une incompréhensible injustice et son incroyable capacité à surmonter ce trauma.

Ce film, dont l’action se situe en novembre 2015, pendant une période politiquement turbulente en Tunisie, s’ancre dans les tensions socio-politiques de l’époque.

LES ENFANTS ROUGES de Lotfi Achour, Tunisie,1h40.

Avec : Ali Hleli, Yassine Samouni, Wided Dabebi, Younes Naouar, Latifa Gafsi

Sortie en salles le mercredi 7 Mai 2025

Le film Les Enfants rouges est « une fiction basée sur une histoire vraie» nous prévient le générique de début. Il s’appuie sur les tragédies vécues par Mabrouk et Khalifa Soltani, deux frères bergers victimes d’assassinats barbares perpétrés par des groupes terroristes. En 2015, Mabrouk Soltani, 17 ans, avait été décapité par un groupe extrémiste, un assassinat qui avait secoué l’opinion publique. Ses assassins avaient ordonné à son cousin, témoin de la scène, de ramener la tête enveloppée dans du plastique à la famille, selon des proches et le ministère de l’Intérieur. Deux années plus tard, son frère aîné, Khalifa Soltani, avait été retrouvé mort lors d’une opération de ratissage lancée après l’annonce de son enlèvement par un groupe «terroriste», dans la même région. Ces deux assassinats avaient été revendiqués par le groupe djihadiste Etat islamique (EI). La Tunisie a été confrontée après sa révolution en 2011 à un essor de la mouvance djihadiste, responsable de la mort de plusieurs dizaines de soldats et de policiers, mais aussi de civils et de touristes étrangers.

Ces événements se sont passés dans une région du centre ouest de la Tunisie, pas loin de la frontière algérienne. Or il y a très peu d’actes terroristes sur des civils dans ce pays. Cette histoire, une quinzaine de jours avant l’attentat du Bataclan en France, a été très marquante parce qu’elle a concerné des enfants, parce que les crimes étaient odieux, et parce que l’histoire a été relatée par les réseaux sociaux.

Dans les paysages impitoyables du djebel Mghila, un environnement isolé fait de montagnes et de paysages arides, en Tunisie, vivent parmi une petite communauté composée quasi exclusivement de leur famille, Achraf, un adolescent de 13 ans, et son cousin Nizar, 16 ans. Leur quotidien simple est rythmé par la garde du troupeau et les rêves et espoirs auxquels ils s’accrochent. La vie du jeune berger Ashraf est irrévocablement affectée par un acte de violence inattendu et brutal. Il jouait innocemment avec son cousin Nizar, lorsque un groupe de djihadistes les attaque et oblige Achraf à apporter la tête de son cousin Nizar à la famille comme un message macabre. Quand il reprend ses esprits, allongé sur le sol, l’horreur survient: un des terroristes dépose la tête de son cousin devant lui, lui sommant de la rapporter à sa mère pour que toute la famille apprenne à se taire, à ne pas révéler leur présence aux militaires.

Traumatisé, Achraf rentre au village. Sur le chemin du retour, il découvre que le fantôme de son cousin le suit. C’est pour lui une présence apaisante qui va l’aider à accomplir la mission qui lui a été confiée. Achraf va faire un douloureux voyage initiatique durant lequel il aura besoin de toute son imagination et de sa jeunesse pour survivre.

Le film va, dès lors, passe d’un récit solitaire à une dimension collective. La famille est intégrée dans l’histoire. Et ce, avec la volonté de désigner les coupables, de retrouver le corps et de pouvoir l’inhumer et de faire le deuil. Ashraf va être obligé de se joindre au reste de sa famille pour aller récupérer le corps de son cousin, afin de l’enterrer. Entre la crainte et les représailles, le refus de la résignation l’emporte pour offrir une sépulture au sacrifié. La mère demande de pouvoir enterrer son fils en entier, avec sa tête et son corps : « On ne peut pas enterrer mon fils. Il est né entier. Il faut que je l’enterre entier».

Le réalisateur montre la dignité du clan, son courage et sa solidarité qui les sauvent. La souffrance de la famille s’étend au voisinage et reflète une détresse collective. « Tu as ouvert la porte de l’enfer et tu nous as abandonné ». Par cette réplique, c’est la sidération d’un pays que le cinéaste nous livre. En effet, Achour pose la question de l’impact psychologique de la violence, notamment sur les enfants, en dépeignant la dure réalité de la Tunisie rurale. Le film porte aussi un regard politique sur les communautés rurales coincées entre une menace terroriste et un État qui l’abandonne plus ou moins à son sort, et dont le seul espoir d’une vie meilleure passe par l’éducation.

Mais le long-métrage Les Enfants rouges met surtout en avant la résilience humaine, en particulier la capacité des enfants à transcender des horreurs inimaginables grâce à leur force intérieure et leur imagination. Il pose un regard empathique sur cette communauté rurale et pauvre. À la mise en scène souvent naturaliste font contrepoint des séquences de rêve surréalistes.

Les paysages sont somptueux mais leur aspect idyllique est trompeur, puisque, dans la montagne, les mines sont nombreuses et les terroristes rôdent. Face à eux, les villageois sont démunis, isolés et ignorés des autorités.

Signalons que être quelqu’un de «rouge» est une expression de cette région tunisienne signifiant que l’on est vaillant, résiliant et capable de faire face à l’adversité. D’où les «enfants rouges» du titre…

Sélectionné à la 77éme édition du Festival International du Film de Locarno, Bayard d’Or du meilleur film & Bayard de la meilleure photographie au Festival international du film francophone de Namur 2024, prix du public au Festival international du film Vancouver 2024, récompensé par le prestigieux Tanit d’Or lors des 35èmes Journées Cinématographiques de Carthage, Les enfants rouges est une véritable cri d’alerte contre l’injustice et l’oubli. En effet, Lotfi Achour s’est toujours distingué par son approche audacieuse et son engagement pour des causes sociales. Avec ce film il continue de donner une voix aux laissés-pour-compte tout en affirmant sa maîtrise cinématographique.

Philippe Cabrol

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