Analyse du film : A plein temps :
Réalisateur : Eric Gravel ; Genre : drame ; Nationalité : française
Avec : Laure Calamy, Anne Suarez, Geneviève Mnich ; Durée : 1h25 ; Sortie : 16 mars 2022
A La Mostra de Venise, en 2022, dans la section Orizzonti, A plein temps a reçu les prix du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice pour Laure Calamy. Julie élève seule ses deux enfants à la campagne et jongle entre vie professionnelle et gestion de son foyer. Julie fait des allers-retours quotidiens entre l’Essonne et Paris où elle travaille comme première femme de chambre dans un palace parisien, un métier qui exige rigueur et sens de la perfection. Ces qualités pour cette jeune femme diplômée d’une école de commerce l’incitent à postuler pour un travail plus en adéquation avec ses compétences et ses aspirations. Pour être disponible pour des entretiens d’embauche, Julie prend des libertés et des risques et s’absente de son travail avec ou sans l’accord de ses supérieurs. Elle met donc en danger son équilibre actuel, mais également celui des collègues auxquels elle demande de la remplacer sur son lieu de travail. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. Elle va alors se lancer dans une course effrénée entre trains annulés, covoiturage, entorses au règlement de son travail, demandes d’aide, faire du stop pour récupérer ses enfants chez la nourrice, problèmes non prévus à résoudre et de solutions improvisées. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille au risque de sombrer. La caméra d’Éric Gravel suit constamment l’héroïne durant toute la durée du film, elle la « colle au plus près » : dès le matin où commence, une course contre la montre, la préparation des deux jeunes enfants pour l’école avant de les déposer chez la nourrice, le train à ne pas rater, la journée harassante de travail avec ses gestes répétitifs et ce jusqu’au retour à la maison le soir. Le film nous permet d’appréhender les difficultés et contraintes de Julie : les difficultés financières, l’épuisement de la double journée, la longueur et la pénibilité des trajets, les exigences de son travail (« Si tu ne veux plus nettoyer la merde des riches, tu n’as pas ta place ici »), l’obligation de demander de l’aide, à la nourrice de ses enfants qui commence à fatiguer, à ses collègues pour couvrir ses absences pour entretien d’embauche. Malgré les problèmes et soucis qui s’accumulent, Julie se bat et essaie de ne pas perdre la face. Le réalisateur raconte le stress, l’épuisement, la violence sociale que les grandes villes et les banlieues font peser sur les individus, spécialement sur les plus vulnérables. L’urbanité est un sujet éminemment cinématographique. A résonnance sociale, A plein temps le traduit remarquablement dans une caméra nerveuse, mais qui favorise les plans fixes plutôt que le mouvement. Pas de temps mort, pas de scène superflue, mais un cinéma engagé humainement.
A propose de son film, Eric Gravel explique : « j’ai voulu mettre en scène la classe moyenne au cinéma pour exprimer son déclassement. Je viens d’un milieu très modeste et quand on est pauvre on ne peut descendre plus bas, on n’est donc pas une référence. Si la classe moyenne bascule, on sent au contraire que toute la société bascule. C’est ce que j’ai voulu montrer avec cette femme en déclassement qui cherche à remonter la pente. » Eric Gravel nous offre une œuvre haletante, un drame humain suscitant l’empathie tant il restitue la réalité contemporaine à la perfection et résonne au niveau sociétal.
Philippe Cabrol