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Aristocrats

Analyse du film : Aristocrats

Réalisatrice : Yukiko Sode ; Genre : drame ; Nationalité : Japon

Distribution : Mugi Kadowaki, Kiko Mizuhara ; Durée : 2h04 ; Sortie : 30 mars 2022

C’est seulement avec l’entrée dans le XXIème siècle que le cinéma japonais donne sa place aux femmes cinéastes. C’est en 1996 que la très connue Naomi Kawase, dont les films ont été souvent présentés au Festival de Cannes, sort sur les écrans son premier film Suzaku. Aujourd’hui de nouvelles réalisatrices font leur entrée officielle dans le cinéma japonais, Naoko Ogigami, Mika Ninagawa, Yuki Tanada. Notons que le Japon se situe au 120ieme rang de l’égalité hommes-femmes. En 2007 le Ministre de la santé déclarait « les femmes sont des machines à faire des gosses ». Plutôt que de refléter les idéaux féminins imposés par la société, ces réalisatrices font des films du point de vue des femmes sur des femmes. Deux films japonais réalisés par des femmes sont actuellement sur les écrans The housewife de Yukiko Mishima et Aristocrats de Yukiko Sode. Chacune explore deux temporalités distinctes et décisives dans la vie d’une femme au Japon : l’avant-mariage et l’après mariage. En effet le mariage est considéré comme une étape nécessaire pour les japonais, en 2005 90% des japonais considéraient que le mariage était naturel et indispensable. De plus, les mariages tardifs sont mal vus, une fille est considérée comme une makeinu si elle n’est pas mariée avant ses 27-30 ans. Grand prix du festival 2021 Kinotayo du meilleur film japonais, Yukiko Sode s’inspire de 5 chapitres d’un roman intitulé Ano Ko wa Kizoku de Mariko Yamauchi. A 27 ans, Hanako, l’héroïne du film Aristocrats, est toujours célibataire. Sa famille, qui vit à l’abri « dans sa tour d’ivoire », demeure inflexible dans le maintien de son rang. Riche et traditionnelle elle est attachée à un code de valeurs et à des habitus d’un autre temps. Pour répondre à la volonté de sa famille Hanako va finalement rencontrer un homme doux, attentionné issu d’une famille d’aristocrates. Le « mariage arrangé » va avoir lieu. Hanako va cependant très vite découvrir que son mari a une liaison avec une jeune femme issue d’un milieu social totalement différent du sien. Les deux femmes vont se rencontrer. Ce film plein de délicatesses conduira les deux femmes et surtout Hanako à une connaissance salvatrice de soi. Aristocrats nous dévoile également divers sujets sociétaux japonais : la pression familiale en ce qui concerne la situation maritale des femmes, la dureté du milieu professionnel à l’encontre des naissances, un patriarcat écrasant et étouffant de cette société. Bien que la focalisation sur la vie amoureuse de Hanako semble être le fil directeur, c’est aussi une manière d’amener la véritable thématique du film. En effet, sans la rencontre avec la maîtresse de son mari, Hanako ne comprend pas comment devenir “libre” par elle-même. Elle essaye de définir sa propre liberté en suivant les conseils de sa famille et ses amies. Cependant, ces deux s’opposent en général, car la première souhaite qu’elle se marie rapidement, tandis que les autres lui recommandent de prendre son temps. La ville de Tokyo joue un rôle important dans ce film, avec sa structure quadrillée et ses hauts bâtiments. Cette ville compartimentée symbolise la division entre les classes et leur inconciliabilité. De plus, on retrouve l’impression d’un Tokyo infiniment grand dans diverses scènes, notamment celles dans les restaurants de luxe. Ces derniers se situent au tout dernier étage de grands buildings. Quand certains personnages regardent par la vitre, la caméra invite à faire de même en montrant la ville vue de dessus à travers les fenêtres, avec des bâtiments à perte de vue nageant dans le brouillard. Ce premier long-métrage ressemblerait à un essai sociologique qui chercherait à dévoiler une société qui oppose plus qu’elle ne scinde ses habitants (tokyoïtes de naissance en « conflit » avec les provinciaux, ainsi que les tokyoïtes issus d’une classe aisée et ceux qui sont issus d’une classe plus défavorisée). Aristocrats permet de mettre en lumière ces contrastes écrasants et particulièrement importants de la ville de Tokyo. Ces oppositions continuent d’être virulentes et d’exister au nom d’une tradition antique. La réalisatrice dresse le portrait d’une société patriarcale créée par l’aristocratie, où la voie vers l’émancipation est celle de la solidarité entre femmes.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr