
Vortex
Analyse du film : Vortex
Vortex a de quoi étonner dans la filmographie de Gaspar Noé.Ce nouveau film retrace la mort, lente et douloureuse, d’un couple d’octogénaires frappé par la maladie d’Alzheimer. Vortex s’ouvre ainsi sur une scène ensoleillée de déjeuner en terrasse, suivie d’un panoramique recadrant sur un mur grisâtre. Comme souvent chez Noé, le mouvement de caméra inaugural annonce l’horizon du récit, qui s’acheminera ici sur le décès, puis l’emmurement, des deux personnages principaux.
Nous voici donc dans un appartement encombré de souvenirs où habitent un théoricien du cinéma et sa femme, ex-psychiatre. Gaspard Noé choisit le split screen, l’écran scindé en deux, pour suivre le quotidien conjoint mais séparé de ce couple dans le moindre de ses détails domestiques. Il y a donc deux cadres bordés d’un liseré noir, comme celui des faire-part de décès, et, dedans, un reste de vie qui s’agite encore, filmé dans ses rituels, en temps réel. C’est aussi la façon la plus démonstrative de signifier que la vieille dame et son mari sont coupés l’un de l’autre, bien que partageant jusqu’au bout leur déchéance. Tout le film se déroule en écran partagé, et témoigne d’une approche plutôt traditionnelle de l’écran scindé, qui consiste à montrer deux actions distinctes de manière simultanée, ou un même événement sous deux angles différents.
De l’espace familier le cinéaste fait le sujet de son film. Petit à petit, l’appartement devient un dédale mental où la vieille femme perd la raison, alors que son mari tient, de manière un peu pathétique, à rester un homme d’esprit, et à continuer d’exister socialement. Au cœur du film, la visite du fils du couple, ex-drogué qui se soigne, devient un sommet bouleversant : le vieil enfant est impuissant face à l’addiction de sa mère aux médicaments, et choqué par ses absences de lucidité. Il tente, aussi, de renouer, comme en urgence, un dialogue avec un père qui a toujours été ailleurs.
Vortex montre une suite d’actions quotidiennes et la manière dont le danger s’insinue dans un cadre ordinaire. Une gazinière, un médicament ou une porte laissée ouverte deviennent ici sources d’inquiétude et de tension.
La fin de la vie, la démence sont montrées avec réalisme. On pense bien sûr au film Amour de Michael Haneke , film réputé austère et triste, s’emparant du même sujet en 2012, mais qui avait insufflé un romanesque déchirant dans les derniers retranchements où s’abîmaient ses deux personnages. Notons aussi que la scission de l’écran indique aussi la perspective d’une rencontre entre deux figures issues de deux cinémas : celui de Dario Argento et celui de Jean Eustache (avec Françoise Lebrun cf La maman et la putain, film somme de Jean Eustache)
Philippe Cabrol