Login

Lost your password?
Don't have an account? Sign Up

Alice et le maire

Film à voir cette semaine à la télévision : Alice et le Maire, film français réalisé par Nicolas Pariser avec Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier. Sur Arte le mercredi 27 avril à 20h50

Présenté à la Quinzaine de Cannes en 2019, Alice et le maire » raconte comment un édile lessivé et sans idée, qui voudrait prendre la tête du PS et se présenter à la présidentielle, en appelle à la jeune Alice Heimann, une normalienne qui lui fait lire Les Rêveries du promeneur solitaire, lui parle d’Orwell et de March Bloch. Un film rohmérien, où la parole compte plus que l’intrigue. Paul Théraneau, maire socialiste de Lyon, traverse une période de grand vide, lui qui avait pourtant brillé par ses idées débordantes durant de longues années. Il n’a plus une seule idée. Après trente ans de vie politique, il se sent complétement vide. Pour remédier à ce problème, son équipe décide donc d’engager une jeune diplômée de littérature et philosophie afin qu’elle stimule les neurones du politicien en veille. C’est ainsi qu’Alice Heimann, ni carriériste, ni opportuniste et sans réelle vocation engagée, fait son entrée à la mairie avec des consignes assez floues : aider Paul Théraneau à penser. La jeune fille prend cependant son rôle très au sérieux et rédige des notes  pour le maire, dans lesquelles elle détaille des comportements politiques dérivés de pensées philosophiques. Elle conseille notamment plus de modestie, qualité que le maire semble avoir oubliée. Au lieu de s’offusquer, celui-ci encense totalement sa nouvelle recrue qui devient à la fois sa conseillère et sa confidente. Mais à la mairie, la réussite d’Alice suscite des jalousies et commence rapidement à énerver. Alice est d’une sagacité peu commune : cela est évident dès ses échanges initiaux avec le maire. Avec un regard clair et une sincérité qui, manifestement, plaît à Paul Théraneau, elle jauge le manège ambiant : les formules creuses de la directrice de cabinet, l’animosité du responsable des communications, le paternalisme de ce développeur estimant qu’on lui doit toutes les faveurs, les pressions des uns et des autres qui souhaitent obtenir une audience, la jalousie ambiante …Ce que la politique et ses politiciens peuvent et ne peuvent pas ; montrer ceux qui agissent, mais ne pensent pas, et ceux qui pensent mais n’agissent pas vraiment…Voilà ce que nous propose le réalisateur. Même si les idées sont bonnes et intéressantes, elles sont insuffisamment traitées, parfois à travers quelques discours, Avec Alice et le Maire, Nicolas Pariser propose une culture de la modestie et de la profondeur. Le film cherche à faire revenir de la pensée dans un monde où les diverses formes du capitalisme, avec leur lexique anglo-saxon technocrate ont supplanté le langage comme expression d’une pensée. Alice et le Maire montre bien comment le bullshit world s’imprègne autant dans le travail que dans la vie privée. Toujours en opposition au langage anglo-saxon de la technocratie, Nicolas Pariser fait circuler dans le film de nombreuses références littéraires et philosophiques : Jean-Jacques Rousseau, George Orwell ou le Bartleby d’Herman Melville. Alice et le Maire ne plaide pas par nostalgie pour un retour en arrière. La pluralité des œuvres qui apparaissent dans le film semble marquer bien plutôt une forme de « résistance ». Il y a beaucoup de dialogues dans le film, ceux-ci font progresser l’action et se mettent d’abord au service d’une idée abstraite : celle du langage, comme entité et expression de la pensée. Différentes conceptions et usages de la langue ne cessent de se télescoper. Les mots et les hommes s’affrontent constamment, que ce soit sur le lieu de travail, à l’opéra ou durant les trajets de voiture entre deux discours du maire. À côté de ces joutes de sens, d’autres personnages incarnent des figures types qui participent également au combat sans pour autant tomber dans la caricature : l’artiste contemporaine névrosée entrevoyant la fin du monde en 2050, Xavier, l’amant d’Alice, un éditeur qui tient à faire perdurer les anciennes techniques d’impression afin que de vrais livres puissent encore exister. Sa posture est évidemment celle d’une résistance et ses idées ont une influence directe sur le combat d’Alice.Le réalisateur oppose dans son film deux mondes : « d’un côté la pensée et de l’autre le monde de l’action. Comme dans « Le Grand Jeu » je me demande : pourquoi ceux qui agissent ne pensent pas et pourquoi ceux qui pensent n’agissent pas ? Dans mon expérience personnelle, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui agissait et qui s’est mis à penser. En revanche, j’ai rencontré beaucoup de gens qui pensaient et qui, du moment où ils ont commencé à agir, ont cessé de penser », expliquait Nicolas Pariser lors de l’avant-première de son film. Alice et le Maire est aussi un regard, un éclairage sur l’amitié, à travers deux personnages qu’a priori tout oppose et qui vont très vite nouer un lien amical à travers leurs échanges. Alice vient en quelque sorte challenger l’esprit du Maire, quitte à revoir sa manière de penser et de bousculer sa vision. Pour Paul Théreaneau, Alice est une bouffée d’air frais. Sous couvert d’une subtile étude de milieu, Nicolas Pariser offre, avec Alice et le maire, une critique féroce de la classe politique. C’est une comédie rafraichissante, qui donne de quoi réfléchir et nous donne une leçon sur l’amitié et la politique.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr