
Hit the road
Analyse du film : Hit the road
Réalisateur : Panah Panahi ; Genre : drame ; Nationalité : iranienne ;
Distribution : Hassan Madjooni, Pantea Panahiha, Rayan Sarlak
Durée : 1h33 ; Sortie : 27 avril 2022 ;
Se déroule sous nos yeux le road movie d’une famille extravagante vers une destination secrète. A l’arrière, le père a une jambe cassée, la mère qui essaie de rire quand elle ne se retient pas de pleurer. L’enfant n’a de cesse d’exploser dans un karaoké chorégraphié. Ils s’inquiètent tous du chien malade et s’énervent les uns les autres. Seul le mystérieux grand frère reste silencieux. Ensemble, ils traversent des paysages aux reliefs magnifiques. Ce contraste avec un récit en apparence miniature est l’un des motifs du film, dont les protagonistes semblent minuscules sous un ciel, sous des étoiles ou sur des montagnes immenses. Quelle route vont-ils emprunter? Où conduira-t-elle ces quatre personnes? Le long métrage laisse supposer une fuite tandis que le réalisateur réserve une large place au non-dit. S’inscrivant dans le sillage du cinéma de son père (Jafah Panahi) et d’Abbas Kiarostami, Panah Panahi compose son film, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes 2021, avec pour seuls motifs ceux déjà travaillés par ses mentors (la voiture, le paysage). La route qu’emprunte la famille iranienne dont nous sommes invités à partager l’habitacle (le film se déroule principalement dans une voiture) s’apparente à une ligne de crête : quatre personnages – la mère, le père et les deux fils – constituant une cellule familiale au bord du gouffre. Le réalisateur a construit un assemblage de personnages pour le moins étonnant: une famille surprenante, composant une sorte de ballet à quatre où chacun détient sa part de secret et un rôle propre. Le père repose à l’arrière du véhicule, affublé d’un énorme plâtre et d’un humour très particulier. La mère irradie d’une angoisse dirigée vers ses deux fils et leur devenir respectif. Le plus jeune est d’une excentricité burlesque. L’aîné est quant à lui le plus mutique, conduisant ses pairs vers une destination inconnue pour des motifs obscurs dans un premier temps. Dès les premiers plans, la créativité du réalisateur se révèle. Un plan séquence pose le décor de l’intrigue: un jeune homme tourne autour d’une voiture, dans laquelle son père, sa mère et son frère se reposent sous une chaleur bouillante. On sent une menace qui pèse sur cette scène tranquille. Le film est bien écrit, les dialogues déclenchent des rires. Dans cette famille où rien n’a de sens, humour et tendresse semblent être les maîtres mots. Mais sous ces apparences de road trip familial, le mystère plane toujours. On comprend que la famille a tout quitté dans la précipitation, et se dirige vers un endroit mystérieux. L’aîné de la famille ne sera plus de cette joyeuse bande au retour… Ce long-métrage aux allures de comédie se révèle en réalité être un témoignage autobiographie de l’exil de nombreux intellectuels iraniens à la suite de la révolution de 1979. La thématique de l’exil est omniprésente bien que traitée avec beaucoup de pudeur, ce qui décuple la finesse de ce premier film. S’il apparaissait tout de suite que la thématique de la fuite de la ville était première, on apprend par la suite que le sujet est encore plus précis avec le départ du fils aîné vers une «terre étrangère» presque fantasmatique pour un iranien en recherche d’une frontière pour disparaître. Malgré ces révélations, le non-dit demeure la figure la plus captivante de l’intrigue. Pourquoi fuit-il ? Pour aller où et dans quel projet ? De tout cela, l’auteur ne nous dit rien, car son film parle juste de ce moment où l’on organise un exode. Un espace de soutien où l’on peut partager une dernière fois ensemble des rires, des regards Hit the road est un film où le sujet douloureux de l’exil est bousculé. Les parents ainsi que le petit garçon, à coup d’humour décalé, d’autodérision ou encore de situations cocasses, continuent de sourire, rire, chanter… Il n’est question que de continuer de vivre et d’avancer pour «ne pas tomber», pour «ne pas s’effondrer». Il y a là un contraste avec le visage du fils aîné qui rappelle la gravité de la situation. Nous comprenons qu’il ne sera question que de continuer sa route seul, loin de ceux qu’on aime et avec la promesse d’un horizon nouveau, synonyme de sécurité et de liberté. Si le film ne fait pas de mystère de l’issue de ce voyage , c’est que Panah Panahi ne s’intéresse qu’à la manière dont chaque membre de la famille appréhende le moment à venir : la mère protectrice est en proie à des larmes qu’elle ne cesse de réprimer, le père sarcastique peine à communiquer avec son fils, et ce dernier, taiseux, est miné par la culpabilité d’abandonner les siens. Au centre du cercle, véritable électron libre qui ne cesse de s’agiter quand les autres sont assignés à leur place, le petit garçon est maintenu dans l’ignorance. C’est lui qui électrise le film de sa présence et maintient l’ensemble dans une forme d’euphorie innocente. Le film est ainsi traversé d’une joie manifeste, visant toujours à provoquer le rire par l’absurde : des conversations qui n’ont ni queue ni tête et des péripéties toujours initiées sans raison par les personnages. Hit The Road est une première œuvre singulière et humaniste qui fait partie de ces films qui ne rentrent dans aucune catégorie, ces œuvres singulières qui marquent les esprits et les cœurs. Film drôle, surprenant, et magnifique, cette pépite nous démontre que le courage, l’union et l’amour de la famille sont plus forts que la peur et le sentiment de sacrifice.
Philippe Cabrol