Retour sur l’Eglise et les chrétiens dans l’Algérie indépendante
Retour sur une rencontre inspirante
Quel rôle pour l’Église dans le « parcours de réconciliation » qui a suivi la guerre d’Algérie ? Comment les chrétiens -dont le nombre est estimé aujourd’hui à 11 500- ont-ils pu trouver leur place en terre musulmane ? Comment cette communauté ultra-minoritaire, à la vie jalonnée par de multiples épreuves, s’est-elle adaptée ? Comment a-t-elle réinterprété le message évangélique ? Telles sont quelques questions posées par L’Église et les chrétiens dans l’Algérie indépendante, un livre de Jean-Robert Henry, directeur de recherche émérite au CNRS et Abderrahmane Moussaoui, professeur en d’anthropologie à l’université de Lyon 2. En compagnie du Père jésuite Bernard Lapize, les deux universitaires, invités par Chrétiens et Cultures, ont présenté leur ouvrage le 13 mai à la Villa Maguelone devant un public nombreux et attentif. Parmi les quatre-vingt-dix personnes présentes dans la salle ou en ligne via zoom, André Maillard, chargé de mission à la direction générale de l’Œuvre d’Orient, ainsi que des religieuses travaillant au Centre culturel universitaire d’Alger ont suivi la soirée. Une belle réussite pour cette rencontre au thème original, initiée par Chrétiens et Cultures.
Ce livre considère l’histoire de l’Algérie à la hauteur des femmes et des hommes qui l’ont faite et s’attache aux motivations religieuses qui ont éclairé le sens de leur vie. Une équipe composée de chercheurs algériens et français et d’acteurs religieux y analyse l’histoire atypique de l’Église dans l’Algérie indépendante, en privilégiant ses dimensions humaines, intellectuelles et spirituelles. L’Église d’Algérie est un des lieux où le processus de sortie de guerre et de construction de la paix s’est joué depuis soixante ans dans des circonstances parfois dramatiques. À l’occasion de cette recherche, des dizaines de femmes et hommes, religieux ou laïcs, ont témoigné sur leur action en Algérie au sein d’une Église qui signe sa rupture avec le régime colonial, s’algérianise et s’arabise. Ces chrétiens sont représentatifs d’une génération qui refuse le prosélytisme et privilégie la présence, la rencontre et le dialogue avec les musulmans, dans le sillage de saint Charles de Foucauld, qui vient d’être canonisé. L’ouvrage met en exergue de fortes personnalités, celles de trois évêques, dont Mgr Henri Teissier, archevêque d’Alger, qui s’est engagé dans la conception du livre. Il évoque aussi les figures des religieux assassinés et de protestants qui ont travaillé étroitement avec l’Église catholique.
Au cours de la soirée, des membres du groupe d’étude et de recherche sur l’histoire chrétienne de l’Afrique du Nord ont rappelé la place du peuple berbère dans la Bible. Plusieurs auditeurs ont relaté des moments de leur vie en Algérie. Ils ont enrichi les débats en livrant de puissants témoignages d’amitié et de solidarité entre musulmans et chrétiens. À cet égard, le père Lapize, qui a exercé son ministère en Algérie, a raconté un épisode poignant qui souligne cette fraternité : après qu’un médecin légiste -musulman pratiquant- lui apporte son aide pour enterrer un migrant chrétien du Cameroun, le père Lapize remercie le praticien : « Inutile, lui répond le médecin, nous avons le même patron ».
À l’heure du 60e anniversaire de l’indépendance algérienne, la nouvelle exposition du MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille) ranime l’épopée de l’émir Abd-el-Kader (1808-1883).Fondateur du premier État algérien, mystique soufi entre tradition et modernité, cet homme de paix entre l’Europe et l’Islam aurait pu conclure la soirée : » Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, ils seraient devenus, intérieurement et extérieurement, des frères ».
Anne-Cécile Antoni