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J’ai perdu mon corps

Film à voir à la télé, le film d’animation : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin

Lundi 13 juin, France 4, 21h10

A Paris, Naoufel tombe amoureux de Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville, une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. S’engage alors une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches, et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire…

Présenté -et primé- aux festivals de Cannes puis d’Annecy, J’ai perdu mon corps a su se forger une belle petite réputation avant de tenter sa chance en salles, puis aux Oscars où il concourrait face à Pixar dans la catégorie Meilleur Film d’Animation 

Le film part d’une situation initiale relativement floue, même si l’on sait ce qui s’est passé. Echappée d’un laboratoire où elle attendait d’être disséquée, une main humaine cherche son corps. L’héroïne de ce film est pour le moins surprenante. Pourtant, elle parvient à susciter une profonde et sincère empathie chez les spectateurs, tentant de traverser les rues encombrées de voitures, obligée de se battre contre des rats voraces dans les égouts de la ville. La suite du métrage s’articule autour d’enchaînement de scènes montrant l’évolution de Naoufel et le parcours de cette main solitaire, dont on ignore encore le but et la destination. D’un côté, Naoufel vivote dans une famille d’adoption qui ne se préoccupe que peu de son sort, travaillant comme livreur de pizzas, faisant face à sa propre maladresse, qui contrecarre la force de sa volonté. De l’autre, la main traverse les épreuves, faisant face aux rats du métro, traversant les lieux hostiles, dans une ville immense à l’échelle de cette main qui cherche son chemin. C’est l’image de deux parcours initiatiques, l’un par les circonstances et le destin, et l’autre par le franchissement d’obstacles et d’épreuves. Le récit joue sur deux temporalités qui se font écho : l’avant et l’après main coupée. Mais passé et présent sont toujours teintés d’une superbe sensualité

Avant, il y avait Naoufel, jeune homme à lunettes issu d’une famille maghrébine, passionné par la musique et les sons, assoiffé de liberté et d’indépendance. Après la mort de ses parents, Naoufel fait fortuitement la connaissance d’une jeune femme au travers d’un interphone. Une rencontre des plus surprenantes où, alors que nous sommes au cinéma, le regard ne joue aucun rôle, puisque tout se passe grâce la voix. A l’ouïe. Un jeu de séduction qui, par son anticonformisme, fait naître une jolie émotion.

La jeune femme en question s’appelle Gabrielle, qui compense son introversion en usant d’un sens de la répartie et d’un franc-parler à toute épreuve. Bibliothécaire, elle aime à contempler, de ses yeux profonds, les paysages déserts de l’Antarctique, rêvant, comme Naoufel, d’indépendance et de liberté. Ou quand l’oreille et l’œil apprennent à s’aimer.

Par l’introduction de la pizza, au début et à la fin de l’intrigue, c’est l’odorat et le goût qui se trouvent manifestés à l’écran, d’une manière moins importante, mais tout aussi remarquable que la vue et l’ouïe.

C’est surtout le sens du toucher qui occupe une place de choix, par la mise en scène de cette main en mouvement. La main, c’est le toucher, le contact de la paume et des doigts de Naoufel sur le bois qu’il travaille. La main, c’est aussi le prolongement du bras, et donc, c’est le mouvement, comme les images du cinématographe.

Sur J’ai Perdu Mon Corps, Jérémy Clapin n’a eu que des bonnes idées. Dans la manière de raconter son histoire, dans la manière de la mettre en scène, dans l’approche tant de l’animation que de la direction artistique. Fable douce-amère tournant autour du sentiment d’être incomplet dans la vie, le film raconte l’histoire croisée d’une main qui s’échappe d’un laboratoire et part à la recherche de son corps, et en parallèle celle d’un jeune livreur un peu paumé qui rencontre une fille dont il tombe amoureux. Le choc de tout cela va donner lieu à une échappée d’une poésie, d’une grâce et d’une émotion précieuses. Et au sommet de ces trois éléments, une singulière originalité. D’un côté, il y a une main qui cavale partout avec un but… mais pas de corps. De l’autre, il y a des corps qui errent en manquant d’un but. La main cristallise la partie aventure du film, les deux jeunes âmes mélancoliques représentent sa partie romanesque et le tout emporte le spectateur dans une délicieuse rêverie tragique au charme unique.

Le classicisme de l’intrigue est vite délaissé au profit d’une narration beaucoup plus cinématographique et poétique, mêlant flashbacks et présent, associant différentes couches temporelles entre elles pour créer un ensemble concordant. Ces différents mélanges ne désorientent pas. Au contraire, la fluidité avec laquelle ils s’enchaînent permet une lecture limpide des enjeux du film. À une narration poétique s’associe la beauté des images et de la musique, qui dégagent beaucoup de force et d’émotions, pour être en mesure de nous toucher au plus profond de nous.

Le deuil, les regrets, l’accomplissement, le rapport au passé, l’espoir, le destin, sont tant de choses que J’ai perdu mon corps traite de fort belle manière. C’est un film qui fait particulièrement du bien grâce à sa capacité à faire ressentir des choses, à avoir suffisamment d’intelligence dans sa construction, dans son montage, pour élaborer un ensemble beau et puissant. On est touché par l’histoire, on arrive à être ému par le sort d’une main, on a peur, on est révolté, on est ému… J’ai perdu mon corps nous fait passer par tous les états et nous fait explorer tout le spectre des émotions. Le travail sur le son et les images est remarquable, et il est impossible de ne pas citer Dan Levy, compositeur de la superbe bande originale du film, qui le sublime encore davantage.

Philippe Cabrol

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