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Elvis

Analyse du film : Elvis de Baz Luhrmann

En retraçant la carrière d’Elvis Presley sous l’angle de la relation professionnelle mouvementée entre le chanteur et son diabolique imprésario le colonel Parker, Baz Luhrmann réussit un biopic musical flamboyant qui ressuscite les fantômes de l’Amérique.

Adepte d’un cinéma glamour, musical et dansant, Baz Luhrmann n’avait encore jamais réalisé de biopic. Il fallait donc un mythe à la hauteur de la démesure du cinéaste pour cette première incursion dans le genre et Elvis Presley, icône du rock and roll ayant incarné durant ses 23 ans de carrière toutes les splendeurs, les excès et les désillusions de l’Amérique, constituait le candidat parfait.

Luhrmann a déclaré s’être du Amadeus de Milos Forman, qui montrait la carrière de Mozart à travers les yeux de son rival Salieri, Pour donner corps à vie d’Elvis, le réalisateur développe le point de vue du manager d’Elvis, le Colonel Parker, mystérieux homme venu des Pays-Bas et ayant changé d’identité aux Etats-Unis pour se lancer dans le métier d’impresario. C’est à travers la voix off de cet ambigu protagoniste qui fut accusé d’avoir poussé Elvis Presley à bout que l’on découvre l’ascension du chanteur de ses débuts en 1954 jusqu’à son décès en 1977, à l’âge de 42 ans. Le film explore leurs relations complexes sur une vingtaine d’années, de l’ascension du chanteur à son statut de star inégalé, sur fond de bouleversements culturels et de la découverte par l’Amérique de la fin de l’innocence. Le cinéaste prend donc le parti de raconter le chanteur, non pas en se concentrant uniquement sur lui (on voit dans le film Elvis chez Sun Records, Elvis le Pelvis, Elvis à l’armée, le retour d’Elvis, Elvis à Las Vegas,…), mais en racontant aussi son manager-escroc. Plus encore, le film ne s’ouvre pas sur la naissance ou l’enfance d’Elvis, mais sur celle de Parker, rapidement abordée.

Luhrmann, cinéaste du spectacle, démultiplie les décors, les images d’archives et les séquences musicales à l’aide d’un montage exaltant. Le film dépeint ainsi l’état de transe dans lequel était plongé le public des concerts d’Elvis Presley et montre l’aspect politique de la carrière de ce rocker qui décoinça l’Amérique conservatrice des années 1950 puis ressentit de plein fouet la grave désillusion des années 1960 et 1970 (les assassinats de Martin Luther King et Bobby Kennedy sont évoqués) avant de connaître un déclin physique et personnel. Le réalisateur saisit en direct la naissance d’une icône. Le chanteur, au look déjà flamboyant, affronte un public glacial et résolument moqueur. « Va chez le coiffeur! » lui lance un spectateur. Toute trace d’hostilité se dissipe dès les premières notes. Elvis s’empare du micro, électrise la scène par son déhanché et rend hystériques les femmes dans l’assistance.

Elvis Presley est filmé comme un personnage insaisissable, c’est seulement face à la foule qu’il ose prendre la lumière. Luhrmann ne s’intéresse qu’au corps de la star, et son image éternelle. Jamais il ne s’agira de déjouer les artifices pour montrer le vrai Elvis Presley. La seule séquence qui met en scène son enfance le montre d’ailleurs en transe alors qu’il assiste à un gospel. Il est porté comme un saint par la communauté noire de son village, et Luhrmann nous rappelle que sans musique noire, sans culture afro-américaine, il n’y aurait jamais eu d’Elvis tel qu’on le connaît. Ainsi, il redonne à B.B. King ou encore Big Mama Thornton la place qui a toujours été la leur mais que l’histoire n’a eu de cesse d’oublier: ils étaient les influences majeures d’Elvis.

Le film, marqué par le contexte de l’époque, restitue le climat ségrégationniste d’ une époque où les noirs ne pouvaient pas se mélanger aux blancs lors d’évènements publics et où certains politiques misaient tout sur le séparatisme comme outil de propagande de campagne électorale. De la dichotomie raciste entre le Sud et le Nord à l’assassinat de Martin Luther King en passant par les sonorités soul/jazz qui parsèment la bande originale, la culture afro-américaine est partout, elle guide Elvis dans ses plus sombres moments et lui rappelle toujours l’essentiel: sans discours, sans rien à porter, les mots que l’on chante se retrouvent rapidement sans intérêt. Ainsi est né un artiste politique, insoumis et révolutionnaire.

Ce film, tourbillon d’images colorées et de musiques qui enivrent l’esprit, démontre aussi que tout succès est une affaire de marketing.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr