
Avec amour et acharnement
Analyse du film : Avec amour et acharnement de Claire Denis
Claire Denis adapte un des livres de Christine Angot Un tournant de la vie Entre la sécurité d’une relation stable et apaisée avec Jean et les feux mal éteints d’une relation toxique avec François. Lorsque les deux hommes, autrefois amis, décident de retravailler ensemble, Sara s’enflamme à nouveau pour son ancien amant. Le film s’ouvre sur le tableau sensuel d’un couple en parfaite osmose. Dans une mer d’un bleu profond, Jean et Sara s’embrassent passionnément. Pas de dialogue, mais une musique lancinante…Un tunnel de métro signifie le retour sur Paris.
Sara est en couple avec Jean. Ils s’aiment. Ils sont heureux. Par hasard, Sara aperçoit son ancien amant, François : celui qui, des années plus tôt, lui avait présenté Jean et qu’elle avait quitté pour Jean. Cette figure du passé va revenir progressivement dans la vie du couple parisien et, insidieusement, tout remettre en question
Claire Denis choisit le thème des émois passionnels façon thriller qu’elle observe à travers le prisme d’un trio amoureux et qu’elle veille à dépouiller de toute convention bourgeoise. Ces trois personnages sont reliés entre eux par une seule et même interrogation intemporelle : jusqu’où est-on prêt·e à aller par amour ? En lui offrant une réponse souvent jusqu’au-boutiste : la mort parfois, le danger souvent, la souffrance toujours.
Ils sont pris, tous les trois, dans les filets de passions tumultueuses L’idée est omniprésente dans Avec amour et acharnement. Jean se révèle être un ex-taulard, tandis que Sarah retombe viscéralement amoureuse de son ancien amant, François, qu’elle croise par hasard au détour d’un contrôle de sécurité à l’entrée des bureaux où elle travaille.
Sara est face à ses désirs qui la dévorent. Elle questionne à quel point elle est prête à les assouvir et les assumer. Le désir féminin est pleinement en jeu dans ce film, Le désir de Sara est absolu, il n’est pas dédié à une personne en particulier, son mari ou son amant, ces derniers étant les deux faces d’une même pièce, la sagesse d’un côté, la turbulence de l’autre. Cependant, le désir de Sara pour François vire à l’obsession, à l’acharnement, comme le suggère le titre, qu’elle tente en vain de cacher, mais que Claire Denis étale au grand jour en empruntant l’une des idées de mise en scène les plus marquantes de Stanley Kubrick dans Shining (la référence est facilement reconnaissable). C’est le désir féminin qui fonde l’histoire d’Avec amour et acharnement. Le film explore un désir féminin qui refuse les clichés et le manichéisme pour mieux nous ramener à la cruelle réalité
Avec amour et acharnement Claire Denis nous remet face à une caractéristique de son cinéma, celle du trouble. Entre les mots et les corps, les amours exprimées et les acharnements nerveux, le film nous invite à une forme d’abandon, comme une sollicitation au malaise. La réalisatrice prend plaisir en filmant à tordre le cou aux relations amoureuses jusqu’ à les enrober de noirceur pesante.
Toute la mise en scène est construite autour du principe d’enfermement : sur-cadrages aliénants, gros plans écrasant les visages, inserts sur des détails incongrus. La réalisatrice accorde une importance de premier ordre aux mains de ses personnages, qui surgissent en gros plan au milieu des scènes et dans lesquelles se déversent toutes les tribulations émotionnelles que vivent les protagonistes. L’enfermement constitue peut-être la grande affaire de Claire Denis, qui a toujours filmé des lieux à demi-fermés ou des communautés isolées. La mise en scène épurée laisse aussi toute la place au langage des corps : depuis la belle scène d’ouverture où Sara et Jean se baignent dans les eaux turquoise de la Méditerranée avec les gestes de tendresse d’un couple aimant, jusqu’à la transformation de Sara, brûlante de désir, à la seule vue de François.
Avec ce film qui bouillonne de passions, de souffrances et de maux, Claire Denis investit les intérieurs de l’être avec cette œuvre trouble et originale. Les personnages ravagent tout sur leur passage. La fin tombe ; elle pourra décevoir certains dans sa trajectoire, et pourtant se range parmi les plus évidentes, celle de l’accomplissement de soi, de l’indépendance inhérente à l’être qui avait été niée. Reste à savoir pour quels personnages.
Philippe Cabrol