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Les Enfants des autres

Analyse du film : Les Enfants des autres

« Être une belle-mère sans être mère soi-même… Aussi banale, douloureuse et honteuse que l’impuissance masculine, cette situation est le point de départ d’une histoire dont je pense qu’elle était digne d’être racontée. Elle l’avait été rarement » (Rebecca Zlotowski, réalisatrice).

Il existe un curieux terme médical, plutôt humiliant, pour désigner une femme sans enfant ou du moins qui n’a pas accouché: nullipare. Déjouer la part négative contenue dans ce terme est clairement le projet de ce film.

Rachel a 40 ans. Elle aime sa vie : ses élèves du lycée, ses amis, ses ex, ses cours de guitare. Elle est épanouie malgré un certain manque: elle est sans enfant et désireuse d’en avoir. Elle sait que pour elle le compte à rebours est lancé. Elle rencontre Ali, un père célibataire durant un cours de guitare. Ils tombent amoureux. Ali a une petite une fille de 5 ans, Leïla. Leila va devenir une personne essentielle dans la vie de Rachel qui la borde, la soigne, et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre.

D’un questionnement à la fois particulier et universel, Les enfants des autres ( issu d’une idée originale qui partait d’abord sur l’impuissance masculine (l’adaptation du roman de Romain Gary Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable), propose une exploration intime et bouleversante d’un versant rarement abordé de la parentalité comme de la féminité. Les précédents films de la réalisatrice se sont toujours penchés sur des femmes dont les désirs se heurtaient à la conception du bien ou de la “vie juste”, tels que conceptualisés par la société environnante. Alors que la figure de la belle-mère est connue en histoire de l’art, et aussi au cinéma, pour être synonyme d’intrigues et de tourments, Rebecca Zlotowski en use à une tout autre fin : questionner le sens de la parentalité et la figure, presque jamais représentée sereinement, de la femme nullipare.

Séquence après séquence, le scénario s’interroge sur comment donner corps aux questionnements de ses personnages le film observe avec acuité comme ces hommes et ces femmes qui parlent: d’eux, de leurs enfants. Comment transmet-on ? Quels sont les liens qui nous lient et à quelles épreuves peuvent-ils être soumis? Ne pas enfanter, est-ce n’être jamais le parent d’un enfant ?

L’intrigue révèle une belle sensibilité dans son premier tiers quand Rachel, dans une discussion prononcée à voix basse et tranquille, qu’elle se rend compte qu’elle a honte d’avouer de cette façon que finalement, elle pense à la maternité et que, elle doit le faire le plus vite possible pour avoir une chance de réussite. Cette scène est à l’image de tout le film : on ne crie jamais dans Les enfants des autres, on prend le temps de se parler, de partager ses idées. Cette partie consacrée au couple ne façonne pas tout le contenu du film. On y rencontre d’autres personnages, la sœur et le père de Rachel, qui permettent de mieux la connaître et de comprendre son cheminement personnel qui l’amène à quarante ans à un désir de maternité tardif. La situation d’Ali et Alice permet à Rachel d’opérer une mise en abime de ses propres choix. Le film présente aussi une femme qui a de multiples occasions de prendre soin des autres, dessinant la possibilité que la maternité n’est pas une fin en soi

Dans ce film, Rebecca Zlotowski semble parler d’elle-même et de ses fantômes au travers du personnage de Rachel. Pour ce, elle utilise une écriture réaliste et bouleversante. La mise en scène est bien maitrisée et sobre. Les ouvertures à l’iris et les fondus au noir font penser à François Truffaut.

Philippe Cabrol

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