
Aucun ours
Analyse du film : Aucun ours
Réalisateur : Jafar Panahi ; Genre : drame ; Nationalité : Iran
Distribution : Jafar Panahi, Mina Kavani et Vahid Mobasheri
Durée : 1h47mn ; Sortie : 23 novembre 2022
À l’heure où s’exprime en Iran une révolte sans précédent, courageusement menée par les femmes malgré la répression, sort sur les écrans le nouveau film tourné clandestinement par Jafar Panahi. Placé sous liberté conditionnelle depuis 2010, avec interdiction de réaliser des films et de quitter le territoire, Jafar Panahi a chevé Aucun Ours peu de temps avant d’être incarcéré en juillet dernier pour s’être insurgé contre l’arrestation de deux de ses camarades cinéastes, Mohammad Rasoulof et Mostafa Aleahmad.
Jafar Panahi se montre installé dans une chambre d’une petite maison de village, proche de la frontière turque. À quelques kilomètres de lui, ses assistants s’affairent pour mettre en chantier un film, qui décrit un couple désireux de fuir l’Iran pour la France, grâce à des faux papiers obtenus auprès d’un passeur. Dans le village à la frontière de l’Iran et de la Turquie depuis lequel il dirige son film via Internet, Jafar Panahi est le témoin d’une seconde histoire d’amour empêché. Gozal et Solduz s’aiment, mais la communauté s’y oppose, la jeune femme ayant été promise à Jacob depuis sa naissance. Jafar Panahi va être pris à partie dans le conflit.
Tout est dans le titre : Aucun ours est un film sur la peur : celle de voir « l’ours » comme un danger pour sa vie, selon l’expression populaire. Mais lui, Jafar Panahi, n’a pas peur.
Depuis ses débuts, le cinéma de Jafar Panahi sillonne l’Iran pour mieux en montrer les tensions. On retrouve dans ce film le même mouvement, celui d’un déplacement physique sur le territoire même du conflit, qu’il soit intérieur ou extérieur. Le lieu détermine et reflète les contradictions, les oppositions, les tensions internes aux individus et à la société iranienne dans son ensemble. Ce nouveau film ressemble à son réalisateur et à sa manière d’infuser de la fiction dans ses propres histoires. Aucun ours est la rencontre de ces empêchements et de l’urgence de continuer à créer.
Les images sont d’une force et d’une intelligence rares sur la liberté d’expression, sur l’espoir de faire entendre une voix dissidente en Iran et sur la tragédie d’un peuple tout entier pris entre l’étouffement de sa volonté et l’archaïsme de la loi islamique qu’entretiennent les élites.
Aucun ours est un film d’une actualité brûlante. Jafar Panahi est plus que jamais le symbole de la vitalité du cinéma comme art témoin du contemporain et comme outil d’émancipation nécessaire.
Philippe Cabrol