
Les Banshees d’Inisherin
Analyse du film : Les Banshees d’Inisherin de Martin McDonagh
Genre : drame ; Nationalité : Irlande, Royaume-Uni, Etats-Unis
Distribution : Colin Farrell, Brendan Gleeson), Kerry Condon, Barry Keoghan
Durée : 1h54 mn ; Sortie : 28 décembre 2022
Au début des années 1920, sur une île irlandaise isolée, une amitié se rompt subitement, non sans conséquences pour la communauté insulaire.
Les Banshees d’Inisherin part d’un point de départ d’une grande simplicité : la fin d’une amitié. Cette rupture entre deux amis, mûrement raisonnée par celui qui l’initie et totalement incomprise par celui qui la subit, sert de terreau au cinéaste pour développer une allégorie indiscutable sur l’Irlande. La violence de cette déclaration qui intervient dès l’introduction du film coupe tout suspense. McDonagh ne joue pas sur le mystère et la surprise, ce qui l’intéresse est de creuser l’absurdité de la situation qu’il installe dès le début du film pour mieux décrire la petite communauté isolée où se déroule l’intrigue. Sur cette île, la vie simple et insulaire ne tient qu’à un fil, et la discorde entre les deux anciens amis rebat les cartes d’un équilibre précaire où chaque habitant devient le spectateur amusé puis attristé de ces frasques peu communes. Ce qui était léger et amusant au début du film finit par devenir tragique.
L’absence totale d’explication ou même de logique stupéfait et devient le moteur perpétuelle d’une escalade vers l’absurde. Et cette absurdité peut générer bien des sentiments : le rire, le pathétique, le malaise et la violence. Martin McDonagh explore tous ces tons, il les combine même à l’intérieur des mêmes scènes, à l’intérieur des mêmes personnages.
Située peu de temps après la séparation des deux Irlande (1921), l’action se centre donc autour de l’amitié, et de ce pub devenu lieu de tensions par excellence. Une sorte de saloon de western, dont le film adopte justement certains codes (inspirés de John Ford et Sergio Leone notamment), avec divers plans filmés à partir des pieds des personnages, ou à travers les portes et les fenêtres, traduisant ainsi les frictions grandissantes entre les personnages.
Si le titre peut paraître mystérieux, il évoque les croyances locales, les personnages de la vieille femme vivant isolée au bord du lac, rapellant les « banshees », ces femmes annonciatrices de mort du folklore irlandais. Si le village d’Inisherin est né de l’imagination du cinéaste Martin McDonagh, ce nom évoque des lieux authentiques tels qu’Inisheer ou Inishmore, où le film a été tourné.
The Banshees of Inisherin traite de thématiques larges – l’amitié, l’émancipation, l’isolement, la dépression, le passage du temps et la mort. Martin McDonagh signe un film d’une grande dignité sur l’usure du monde et sur la fatigue mentale de personnages extrêmement attachants.
Colin Farrell a obtenu un prix d’interprétation à Venise 2022 en faisant de son personnage à la fois une source de moquerie et de dignité.
Philippe Cabrol