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La Femme de Tchaïkovski

Analyse du film : La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov

Après l’expérience vertigineuse du film La fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov signe un nouveau projet cinématographique aux atours plus classiques et narratifs. Dans une mise en scène sobre et sombre, le réalisateur restitue le portrait saisissant d’une femme prisonnière de son admiration pour le célèbre compositeur russe.

Il y a, au début du film, une scène splendide. C’est l’enterrement de Tchaïkovski, sa veuve éplorée fend la foule des amis et admirateurs, et s’approche du mort… qui se relève, le temps de la bannir des lieux. Seize ans plus tôt, amoureuse de Tchaïkovski, Antonina Miliukova l’avait convaincu de l’épouser. Le grand compositeur n’avait répondu à sa déclaration d’amour épistolaire que dans le but de contracter un mariage de façade pour cacher son homosexualité. S’en est suivi, pour elle, une vie conjugale vide, sans amour, un enfer de frustration, d’humiliation, d’aveuglement, de déni. Antonina a pour lui un amour dévorant et dans un magnifique don de soi, supporte tout, endure tout. Alors que les amis de Tchaïkovski lui conseillent de divorcer, elle refuse en tant que femme aimante, forte et libre.

La femme de Tchaïkovski annonce ainsi ses intentions : en deux cartons introductifs, on rappelle au spectateur que la condition féminine dans la Russie du XIXème siècle est celle d’une mise sous tutelle complète et absolue vis à vis des hommes, qu’ils soient des pères, des frères, ou des maris. Antonina a grandi entourée de femmes, sa propre mère se présente comme « la veuve d’un époux toujours vivant », euphémisme pour présenter sa condition de femme répudiée par un homme qui au- delà des convenances ne voulait pas d’une femme dans sa vie.

La Femme de Tchaïkovski n’offre jamais une once de chaleur humaine. Le monde dépeint par Serebrennikov est entaché, corrompu, malade. Les rues de Moscou évoquent une cour des miracles où des indigents agonisent en hurlant. Une fatalité implacable domine les êtres humains, propension au malheur, à la violence et à la souffrance. Les plans-séquences en surplomb des personnages disent ce destin qui les dépasse.

Les images sont splendides, avec des lumières clair-obscur, la mise en scène nous place du côté d’Antonina, s’enfonçant toujours plus profondément dans son obsession. Nous suivons la trajectoire plus au moins linéaire de la déchéance et de l’effondrement dans la folie de cette femme « amoureuse de l’amour ».

Prochainement sortira sur les écrans « Limonov », la libre adaptation de Kirill Serebrennikov à partir du livre d’ Emmanuel Carrère consacré au sulfureux écrivain et homme politique russe Edouard Limonov. Et l’été prochain, Kirill Serebrennikov commencera le tournage d’une autre adaptation, celle de « La Disparition de Josef Mengele », d’Olivier Guez.

Philippe Cabrol

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