The Quiet girl
Après avoir connu un succès retentissant dans les festivals, notamment à Berlin, où il a remporté l’Ours d’argent du jury adolescent et le prix du public à Taipei, The quiet girl, le premier long métrage de fiction de Colm Bairéad, a représenté l’Irlande pour l’Oscar du meilleur film international. Le récit est l’adaptation de Foster, une nouvelle de Claire Keegan, publiée en France sous le titre de Les trois lumières. C’est l’histoire, durant un été, d’une petite fille mutique privée d’affection, qui va découvrir chez de lointains cousins l’amour dont un enfant a besoin d’amour dévotion pour grandir et s’épanouir. Ce film est une évocation de l’enfance délicate et bouleversante.
Taiseuse et introvertie, Cáit est une fillette de neuf ans effacée et négligée par sa famille. En difficulté à l’école, où elle a du mal avec la lecture, et en souffrance à la maison, où elle se fait tout aussi discrète, elle a appris à ne pas se faire remarquer. La rude condition d’agriculteurs de ses parents, dans cette Irlande verdoyante et pourtant aride des années 80, n’est guère joyeuse et rien n’incite dans cette famille aux démonstrations d’amour familial, aux manifestations de bonheur et de tendresse. Tout y respire la résignation à la pauvreté. Les vacances arrivant ainsi que la naissance d’un énième enfant, le premier garçon, provoquent la décision des parents d’envoyer Cáit chez des parents éloignés que la fillette n’a jamais revus depuis sa naissance. Confiée sans explications à Eibhlín et Sean Kinsellas qui représente deux étrangers pour elle , la petite fille tente de faire connaissance avec ce couple quinquagénaire. Chacun à leur manière, radicalement différente, accueille Cáit dans leur maison et dans leur vie avec une chaleur que celle-ci n’a jamais connue. Elle s’épanouit avec eux, elle ne manque désormais de rien et peut enfin bénéficier de l’attention dont tout enfant a besoin pour grandir sereinement : de la douceur, de la tendresse … une découverte pour Cáit qui, d’abord prudente et réservée, abandonne peu à peu ses défenses. Invitée à participer à la vie de la ferme et de la maison, Cáit ose enfin s’exprimer, sourire, se laisser aller à vivre. Elle tisse des liens forts avec ce couple, à tel point qu’ils remettent en question, pour la petite fille, le sens même de la famille. « Peut-on choisir ses parents ? » Le couple lui apprend à aimer et à être aimée.
Le séjour chez Eibhlín et Seán est une suite de journées répétitives, faites de bienveillance, de soins, d’apprentissage, de temps de tendresse avec Eibhlín et avec Seán à travers la course vers la boite à lettres ou encore le nettoyage de l’étable, de découvertes et de confiance en soi. Pourtant ce couple temporairement adoptif semble envahi d’une certaine tristesse.
Le titre original de la nouvelle de Claire Keegan Foster signifie élever, encourager, tandis que le titre français Les trois lumières fait référence à un moment particulier du film. Ces trois lumières sont Eibhlín, Seán et leur enfant qui peut être Cáit ou la lumière qu’ils ont perdue, celle de leur fils décédé, dont la présence de Cáit semble être une « sorte de résurrection ». Dans une magnifique séquence, Seán est dépassé par ses émotions face à trois lueurs sur la mer, qui représentent l’inaccessible, une blessure inguérissable mais aussi ce qu’il est destiné à perdre de nouveau puisque Cáit doit repartir chez ses parents.
Le film est volontairement lent, c’est ce qu’a voulu Colm Bairéad pour montrer l’indicible et l’épanouissement de Cáit. Beaucoup de silence également. Le film est silencieux comme les trois personnages principaux. Nous pouvons assimiler ce silence à une méditation : silence dans la nature, silence dans les non-dits, silence dans les peurs et les chagrins, silence dans les relations entre ces trois personnes. Colm Bairéad dit lui-même « le cinéma est un art visuel, il doit trouver les moyens de transcrire des émotions complexes…et sans paroles ». Dans leurs silences, un autre langage naît, fait de gestes, de moments où la tendresse trouve à s’exprimer autrement que par des mots.
Ce long métrage est soigneusement mis en scène et magnifiquement photographié, du premier foyer sombre, le film passe à un second foyer plus lumineux. Les couleurs changent aussi avec des champs baignés de soleil, des jaunes et des bruns réconfortants.
Le réalisateur apporte à son récit une dimension spirituelle, il conduit les pas de cette petite fille vers une reconstruction personnelle. Il montre avec sensibilité et sobriété la mécanique de la carence affective, mais surtout l’amour entre le couple et Cáit qui est fondé sur le respect de l’autre, l’altérité et la confiance en soi.
Simple, délicat, profond et tout en retenue, développant une belle puissance émotionnelle à travers des êtres fragiles, The Quiet girl suggère plutôt qu’il ne dit les choses. Le cinéaste irlandais raconte aucune cette parenthèse enchantée qui révèle la petite fille à elle-même et insinue un rayon de soleil dans la vie du couple vieillissant qui l’accueille. Ce film est un cadeau à accueillir et à savourer.
Ce long métrage est un grand succès critique et commercial de l’histoire du cinéma irlandais à avoir été tourné dans la première langue officielle du pays, le gaélique irlandais. Assimilés à la culture anglophone hégémonique avoisinante, les personnages naviguent constamment entre les deux langues. La langue irlandaise tout d’abord, qui est presque le nouveau standard des films irlandais les plus récents (The Banshees of Inisherin), Jusqu’en 2017, on dénombre seulement 4 films tournés en gaélique irlandais. Depuis 2019, 5 autres ont été tournés.
Philippe Cabrol