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Chien de la casse

Analyse du film : Chien de la casse

Réalisateur : Jean-Baptiste Durand

Genre : comédie dramatique Nationalité : française

Distribution : Anthony Bajon, Raphaël Quenard, Galatea Bellugi. Durée : 1h33 mn Sortie : 19 avril 2023

Au cinéma la ruralité se contente souvent de montrer les difficultés des agriculteurs et le déclin du monde agricole. Pour son premier long-métrage, Chien de la casse, le scénariste et réalisateur Jean-Baptiste Durand s’éloigne de ces clichés et met en scène une amitié entre deux jeunes hommes dans un petit village d’ Occitanie, du côté de Montpellier, plus précisément Le Pouget. « Je voulais tourner dans la vallée de l’Hérault. C’est de là que je viens, et comme souvent pour les premiers films, l’histoire est proche de ce que j’ai vécu. J’ai sillonné la région… Ma mère habite Le Pouget (2007 habitants). Un jour, en allant faire un repérage au city-stade où j’avais pas mal joué durant l’adolescence, j’ai commencé à prendre des photos. Au bout de deux cents, je me suis dit que c’était là qu’il fallait tourner », déclare Jean-Baptiste Durand.

Chien de la casse, qui a remporté le prix du public au festival Premiers Plans d’Angers, puise dans l’expérience du réalisateur Jean-Baptiste Durand, et dépasse en cela tous les clichés sur la jeunesse rurale.  Ce premier film doux-amer raconte, avec tact et drôlerie, une histoire  d’amitié inconditionnelle et étouffante à l’épreuve de la rupture, dans un contexte social très fermé. 

Dog et Antoine dit Mirales, deux amis d’enfance depuis l’âge de 12 ans vivent au Pouget. Ils passent la majeure partie de leurs journées à traîner dans les rues. Mirales a pris l’habitude de taquiner Dog jusqu’à en faire son souffre-douleur. Mais cet été-là, Dog rencontre Elsa avec laquelle il vit une histoire d’amour. Rongé par la jalousie, Mirales va devoir se défaire de son passé pour pouvoir grandir et trouver sa place…

Mirales et Dog ne se ressemblent pas. C’est un tandem d’amis mal assortis mais inséparables, depuis la classe de sixième. Devenus de jeunes adultes, le quotidien de Mirales et de Dog n’a pas véritablement changé, rythmé par les après-midis canapé et les excursions en voiture sans destination. Mirales se promène avec un chien qui ne le quitte pas. Mirales, petit dealer qui nous apparaît comme quelqu’un d’arrogant cache un être cultivé. Il est expansif, il parle beaucoup, il a du vocabulaire, des références, il sait mettre des mots sur ses sensations. Il est passionné de littérature et est capable de citer Montaigne, Baudelaire ou Dostoïevski. Il admire sa mère, une peintre névrosée. Il apporte régulièrement quelques-unes de ses pâtisseries faites maison à une voisine âgée qui l’a initié à la musique et qui continue de lui faire découvrir de ces gammes classiques. Sous ses airs de voyou se dévoile peu à peu un garçon solitaire et sensible qui peine à trouver sa place dans le monde. Mirales passe d’ailleurs beaucoup de temps à taquiner Dog en public, quitte à l’humilier sans que jamais l’autre ne réagisse.

A l’inverse, Dog est un garçon simple, taiseux et introverti, qui rêve de faire l’armée et sait profiter, sans se poser de questions, des petits bonheurs de la vie. Dog ne sait pas se protéger de l’arrogance et même de la violence de celui qu’il considère comme son grand frère. Mais il est en paix avec la simplicité de son existence. C’est pourtant lui qui va séduire Elsa, une jeune étudiante rennaise. Un élément perturbateur qui va les révéler l’un à l’autre, d’autant que la jeune femme ne manque ni de charisme, ni de détermination.

Chaque jour, chaque soir, ils se retrouvent avec les autres jeunes de ce petit village sur l’une des places désertes à fumer, boire de la bière et le joint à portée de main. Ils trimballent leur ennui, leurs mauvaises blagues.

Le film repose aussi sur un constant rapport de force. Amis depuis l’enfance, l’arrivée d’Elsa dans la vie de Dog va mettre au grand jour le rapport de force constant dans lequel ils sont enfermés. Se rejoue alors entre eux une petite dialectique du maître et de l’esclave où on ne sait plus exactement qui a le plus besoin de l’autre pour exister.

Jean-Baptiste Durand a mis en place un code couleur pour chacun de ses deux protagonistes, Mirales autour d’un camaïeu de roses avec un peu de vert, et Dog avec du bleu. Quand ils évoluent, leur tenue évolue également. A la fin du film, Mirales a moins besoin de s’afficher et Dog porte des couleurs rose et bordeaux.

Chien de la casse est un film réussi, où tout sonne juste et apparaît évident et naturel. Jean-Baptiste Durand présente sans caricature ni mépris la jeunesse de sa région. Cocasse et souvent hilarant, ce film est ainsi fait des petits riens de la vie, décrivant par petites touches un quotidien a priori morne. Le réalisateur filme une jeunesse péri-urbaine qui n’a d’autres choix que de traîner dans des rues vides, dans un village endormi, où les commerces ont disparu, où l’ennui guette, et où les copains vont jouer un rôle essentiel. Dans ce microcosme, c’est Mirales qui domine, qui s’impose comme le chef, avec sa grande gueule et ses barrettes de shit. Mais Mirales est une simple âme égarée, qui va devoir se défaire de son passé pour pouvoir grandir, et trouver sa place.

Chien de la casse est la chronique douce-amère d’une amitié virile et rurale. Le réalisateur documente cette amitié, montre ce qui la constitue et la manière dont chacun a besoin de l’autre. Derrière ce titre énigmatique (Chien de la casse est une expression argotique apparue au milieu du XXe siècle pour désigner un chien de garde féroce et bagarreur qui vit dans un univers de terrains vagues) se cache un film à la fois violent et sensible autour des thématiques du fort et du faible, de la masculinité, d’une amitié presque fraternelle, indéfectible et profonde, mais pas toujours bienveillante. Jean-Baptiste Durand développe également le thème de l’ennui qui ronge la jeunesse de ces campagnes oubliées, de ces rapports très particuliers que la vie dans l’espace restreint d’un village engendre, à mi-chemin entre fraternité violente et fidélité maladroite. Il nous montre, dans ce film très ancré géographiquement,  un avenir sans espoir et un vide existentiel pour ces jeunes qui ne savent même pas quoi espérer ou à quoi croire. On y voit une jeunesse de campagne qu’on connaît peu, qu’on voit peu, ni paysanne, ni ouvrière, ni néorurale, qui ne correspond à aucune famille sociologique prédéfinie.

Jean-Baptiste Durand  explique que quand il a vu The Banshees of Inisherin, il s’est dit « mince, c’est le film que j’ai failli faire, mais en moins bien ». Les deux films abordent en effet un sujet commun : l’amitié inconditionnelle et étouffante à l’épreuve de la rupture, dans un contexte social très fermé. A l’inverse de The Banshees of Inisherin, Chien de la casse montre une sincérité et une situation plus proche du réel et de notre quotidien.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr