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The Old Oak

Mention spéciale du jury Œcuménique au Festival de Cannes : The Old Oak

Sortie : prochainement / 1h53min / Drame

De Ken Loach ; Par Paul Laverty

Avec Dave Turner, Ebla Mari, Trevor Fox

Figure emblématique du cinéma social, ayant reçu le Prix du Jury à trois reprises (Hidden agenda, Raining Stones et La Part des anges) et doublement Palme d’Or (Le vent se lève en 2006 et Moi, Daniel Blake en 2016), Ken Loach a présenté au 76ime festival de Cannes, The Old Oak qui a reçu une mention spéciale du jury œcuménique. Dans ce film, le réalisateur de 86 ans raconte, dans une petite ville du nord-est de l’Angleterre, ravagée par la fermeture des mines et gangrénée par la paupérisation, l’arrivée de réfugiés syriens fuyant leur pays dévasté par la guerre. Cette situation va créer des tensions et va à la fois diviser ses habitants et créer un sursaut d’humanité.

La première séquence du film est violente et forte. Un autocar de migrants syriens arrive dans cette petite ville. L’accueil des réfugiés est tendu et un autochtone casse l’appareil photo de Yara, une jeune migrante. Or cet appareil photo revêt une dimension sentimentale très importante aux yeux de Yara. C’est à travers leur passion commune pour la photographie, qui témoigne de l’histoire de leur peuple, que naît l’amitié entre ces deux protagonistes.

Le Old Oak, « le vieux chêne » le nom du pub local, est le dernier lieu de sociabilité de cette petite ville, où se retrouvent « des blessés de la société », des chômeurs, des désœuvrés et des habitués, consommateurs de bière pétris d’une haine xénophobe, des familles locales qui ont des difficultés à se loger décemment, à nourrir leurs enfants et un groupe de réfugiés syriens. Malgré les rivalités entre les autochtones et les étrangers, Ken Loach ne montre aucune ambiguïté chez les réfugiés, ils sont remplis de bonté. Jamais manichéen, le scénario montre bien les raisons de chacun de repousser ou de soutenir les réfugiés. Le réalisateur ne condamne jamais les personnages mais veut réellement mettre en évidence les contradictions des personnages et leurs déchirures internes et intimes. Le réalisateur démontre aussi que, malgré leurs cultures différentes, les habitants de la petite ville et les réfugiés syriens ont des valeurs communes et connaissent de mêmes réalités.

Au centre de l’histoire, une amitié lumineuse va se développer entre TJ Ballantyne, propriétaire du pub, homme d’âge mûr, usé, cabossé, d’une grande humanité et

qui veut croire à la fraternité et à la résistance collective, et Yara, migrante parlant fort correctement l’anglais, ne portant pas le voile et jeune femme déterminée. Elle symbolise aussi la résilience d’un grand nombre de migrants. L’arrivée des réfugiés transforme le quotidien de JT. En effet, il doit apprendre à se réconcilier avec lui-même, sa femme l’a quitté et son fils ne vient jamais le voir. Il porte toute son affection sur Mara, sa petite chienne. JT, comme le nom de son pub, est un vieux chêne. Il va prendre la jeune femme sous son aile et organiser une solidarité pour aider ces familles de réfugiés, mais aussi les enfants défavorisés de la ville. Il se met à dos ses plus proches amis et fidèles clients du pub, qui voient d’un mauvais œil l’implantation d’étrangers dans leur ville. En effet cette ville vit avec son histoire, ses fantômes et ses deuils.

L’appareil photo que JT offrira à Yara devient un enjeu d’une grande importance. La jeune fille va redonner des couleurs à la vie les habitants, qui ont si peu à manger ou à partager. C’est dans ce genre de situation extrême, à travers la prise de repas en commun, que les cœurs s’ouvrent déclare la jeune fille : « Quand on mange ensemble, on se serre les coudes », « Dans la vie, parfois, il n’y a pas besoin de mots, juste de la nourriture ».

Avec l’aide de Yara et d’une femme du village JT décide d’organiser une cantine solidaire dans une arrière-salle désaffectée de son établissement, aux murs couverts de photos, hommages en noir et blanc à la grande grève des mineurs contre le gouvernement de Margaret Thatcher, en 1984-1985.

C’est le concept de la solidarité et non de la charité que développe Ken Loach dans The Old Oak. Des moments d’humanité profonde, comme lorsque la mère de Yara apporte à manger à TJ durant une épreuve qu’il traverse, illustrent le film. De même le partage, élément clé, réunit les populations « parfois, dans la vie, il n’y a pas besoin de mots, seulement de nourriture ». Ken Loach s’intéresse aussi à la bonté, au vivre ensemble et à une foi très forte en l’humain. « L’espoir fait tenir, mais il fait mal », dit Yara, aux problématiques actuelles relatives à l’accueil des réfugiés et à l’intégration interculturelle. Le mot communauté revient plusieurs fois.

Signalons une très belle séquence dans laquelle Yara, bien que musulmane, apprécie la beauté symbolique d’une cathédrale, illustrant l’universalité de la beauté et du sacré. TJ lui explique que la cathédrale n’appartient pas à l’église mais à ses bâtisseurs. Cette séquence souligne l’approche humaniste du film, montrant que la coexistence pacifique et l’acceptation sont possibles. Dans cette cathédrale fondée au XIe siècle, la jeune femme évoque le devenir séculaire de la Syrie.

Ode au partage, le film de Ken Loach rappelle une fois encore que la clé de voûte de notre espérance réside dans notre capacité à intégrer et considérer l’autre au-delà de nos différences. The Old Oak porte bien son nom et rappelle combien le chêne, symbole de résistance, de justice, de communication, d’hospitalité comme de générosité est une solution pour une humanité plus solidaire et sereine.

Ken Loach qui aime se définir comme un disciple d’auteurs, notamment Émile Zola ou Charles Dickens considère son travail de réalisateur comme une peinture minutieuse de la société britannique. Comme les deux écrivains le faisaient en décrivant et en observant leurs sociétés respectives, Ken Loach cherche lui aussi à rendre compte de la réalité sociale de son époque et de son pays : difficultés sociales des familles populaires, ravages des politiques publiques, sort des immigrés clandestins,… Il n’a de cesse, dans ses films, d’interroger les structures de pouvoir qui enserrent et déterminent les individus. Son œuvre ne constitue rien de moins qu’un appel à la dignité de tous ceux, précaires et vulnérables, qui subissent la loi du marché. D’ailleurs les déclarations du cinéaste britannique ne laissent planer aucun doute sur ses intentions. Il entend immortaliser « la façon dont nous vivons en société » et construire « un récit qui fera ressortir (…) les enjeux du contexte social ».

Philippe Cabrol

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