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Le Procès Goldman

Analyse du film :  de Cédric Kahn

Le Procès Goldman

Réalisateur : Cédric Khan ; Genre : drame, policier, historique, judiciaire ; Nationalité : France ; Distribution : Arieh Worthalter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié ; Durée : 1h55 mn ; Sortie : 27 septembre 2023

Film magnifique. A voir absolument

Qui était Pierre Goldman, demi-frère aîné du chanteur Jean-Jacques Goldman, fils de résistants juifs polonais qui ont combattu pour libérer la France de l’occupant nazi, pour avoir autant défrayé la chronique dans les années 70 ? Une forte tête, un militant intellectuel d’extrême gauche, un juif maudit ? Un juif résilient ? Un braqueur, un écrivain? Il semble avoir mené plusieurs vies marquées par l’affrontement et la violence. La droite le considérait comme un braqueur de banques et un assassin, la gauche, notamment l’intelligentsia de Sartre à Signoret, lui octroyait des circonstances atténuantes.

25 ans après son mystérieux assassinat, Cédric Kahn restitue cette époque à travers la trajectoire de cet homme. Avec ce film, présenté en ouverture de la Quinzaine des Cinéastes à Cannes, où rien n’est laissé au hasard le réalisateur parvient, avec une mise en scène sobre, à rendre compte de la complexité de la matière juridique. Plus qu’un film judiciaire, Le Procès Goldman est non seulement une leçon brillante de mise en scène, mais un témoignage historique à méditer.

En novembre 1975, débute à Amiens le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent.

Cédric Kahn n’a pas voulu faire un film hagiographique sur Pierre Goldman. « Ce qui m’intéresse chez lui, c’est sa parole », explique le réalisateur. Dans Le Procès Goldman, le réalisateur donne la parole à toute cette France  des années 1970 : les avocats, les policiers, les Français de droite, de gauche, les Parisiens, les provinciaux… Une France coupée en deux, difficilement réconciliable. Les assises d’Amiens deviennent le théâtre d’affrontements entre ces deux France.

Le Procès Goldman raconte le parcours de cet accusé, un exemple du militant pur et dur, un homme prônant des messages révolutionnaires, ne voulant aucunement se soumettre aux lois de la République, contestant toutes formes de règles sociétales. L’homme représente alors la véritable définition du militantisme, motivé par des ambitions extrêmes, souhaitant inventer un nouveau modèle de société, dédaignant explicitement les forces de l’ordre. Cédric Kahn place logiquement son personnage au centre des débats, au cœur de toutes les interrogations et des témoignages successifs. « Je suis innocent parce que je suis innocent » répètera Goldman à plusieurs reprises à son avocat maître Kiejman et dans ses interventions au tribunal. Cette affirmation, dont Cédric Kahn en a fait longtemps le titre provisoire de son film, plane sur tout le film et balaie tout argumentaire.

Goldman est un homme désagréable, insupportable, arrogant mais droit. Il veut les faits, rien que les faits qui à coup sûr l’innocentent. Il est constamment dans les provocations, les récriminations en tout genre. Son éloquence est sèche, nerveuse, sa dialectique fascinante. Il en veut à la Terre entière et aurait préféré assurer lui-même sa défense. Il fait peu confiance à ses trois avocats, en particulier au réputé  Georges Kiejman, qui est, à ses yeux, un mondain surtout avide de gloire. Défendre Pierre Goldman n’a rien de facile pour Georges Kiejman. Goldman tente même d’écarter son avocat à quelques jours du procès, le traitant par écrit, entre autres amabilités, de « juif de salon ». Mais convaincu par ses secondants (qui voient en Goldman « un frère juif bouc-émissaire »), Kiejman ne renonce pas, annonçant dans le prologue du film, qu’il se concentrera cependant seulement sur les faits. Il démontera patiemment, un par un, les témoignages de l’accusation, donnant à ce film un magnifique plaidoyer pour la justice et la vertu des gens qui la font vivre et la rendent. Ces deux hommes incarnent les deux pôles du récit : d’un côté la raison (l’appareil de la justice), représentée par Kiejman, de l’autre la passion (l’idéal politique) qui anime Goldman.  

Quasi huis-clos au sein de la Cour du tribunal, Le Procès Goldman est un film de procès édifiant qui met en lumière toute la complexité de cet insurgé lucide, cet homme se trouvant dans le box des accusés, devant affronter une foule partagée entre les doutes et la conviction de la culpabilité. Presque aucune scène ne se déroule en dehors des quatre murs marron de cette salle de tribunal, où tout le monde est également habillé en nuances de marron, donnant une étonnante cohérence visuelle au film. Le film s’intéresse à tout ce qui a pu se dérouler dans la salle d’audience, les différentes personnes venues donner leur version des faits, les plaidoyers des avocats, et les grandes diatribes du principal intéressé. Les moindres détails de cette affaire sont exposés à la barre, livrant alors une partie de l’histoire du militantisme français d’extrême gauche, et ainsi le parcours de Pierre Goldman, un homme motivé par des idées, des certitudes, animées par un esprit révolutionnaire.

Le Procès Goldman est captivant, passionnant : comme lecture de cette période bouillonnante et comme chambre d’écho saisissante du présent, sur le rôle de la police dans une démocratie, le racisme, l’antisémitisme la violence légitime, la violence légale, la radicalité militante. Quant au passé plus ancien, celui de la Seconde Guerre mondiale, de la Shoah, de la résistance héroïque en France d’immigrés communistes, il est aussi présent dans le film et en constitue sans doute la clef essentielle.

Cédric Khan a réalisé un film totalement virtuose. Les plans qui s’enchaînent, les mouvements imperceptibles de la caméra, les décors et la lumière témoignent d’un travail de fond sur la pertinence du cinéma pour raconter un tel procès. Avec le procès Goldman Cédric Kahn dresse le portrait de toute une époque, qui a beaucoup de points communs avec notre période contemporaine où l’actualité récente démontre douloureusement, la montée de l’antisémitisme, du racisme en France.

Le Procès Goldman colle à la vérité, dans un film qui se veut descriptif, informatif, passionnant, s’attelant à une quasi-reconstitution, procurant l’occasion de participer concrètement à ces longues et pénibles journées de jugement. Sans temps mort, ce récit se transforme en réquisitoire, explore le fonctionnement d’un tribunal, avec ces témoins assaillis par les différentes questions, ces avocats jouant parfaitement de leurs capacités d’orateurs Ces logorrhées verbales, ces duels dans les gestes, les mots, les intentions, captivent, mettant progressivement les doutes dans l’esprit du spectateur, écoutant attentivement les magistrats, leurs plaidoiries, malmenant des témoins face à leurs contradictions. 

Ajoutons que Pierre Goldman a été condamné en 1976 à douze ans de réclusion criminelle pour plusieurs vols à main armée, puis à la réclusion à perpétuité pour le meurtre en décembre 1969 de deux pharmaciennes – un jugement cassé en 1975 pour vice de forme, puis renvoyé devant la justice. Durant son incarcération, Pierre Goldman a écrit une autobiographie, publiée peu avant son deuxième procès, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France. Le livre a obtenu un grand succès critique et public.

Aujourd’hui encore, l’affaire Pierre Goldman est entourée de nombreuses zones d’ombre. Avec deux questions qui n’ont jamais été élucidées. Qui est responsable du braquage sanglant de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir ? Et qui a tué Pierre Goldman, et pour quelles raisons ?

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr