Le Règne animal
Analyse du film : Le Règne animal
Sortie : 4 octobre 2023 / 2h10min / Science fiction, Aventure, Drame
De Thomas Cailley
Avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos
Ce film a été présenté en ouverture de la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023.
Et si l’homme redevenait un animal comme un autre ? Dans Le Règne Animal une épidémie de mutations génétiques transforme peu à peu certains humains en animaux.
«Les films sont plus harmonieux que la vie, il n’ y a pas d’embouteillages dans les films», disait François Truffaut. Dans Le Règne animal tout commence par un embouteillage. François et son fils Emile sont en voiture, bloqués par un embouteillage. Soudain une créature s’échappe d’une ambulance, dans une scène de chaos spectaculaire. Avec cette première séquence, la matière du film est déjà donnée.
Quand Lana se retrouve atteinte d’ un mal mystérieux, un genre de virus qui se propage dans la population, sans qu’ on en connaisse l’origine ni le vecteur de contamination, son mari François et son fils de seize ans Émile s’embarquent dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence…
Le film de Thomas Cailley est un mutant dans le paysage cinématographique français, à la croisée des genres entre film fantastique, thriller, conte, fable, drame familial avec des touches de comédie, et récit sur l’adolescence façon «coming of age movie».
Pour le réalisateur, c’est« un film de genres au pluriel». «J’aime bien que tout ça se marie, l’intime, le spectaculaire, l’action, la comédie», explique-t-il
Tourné dans les landes de Gascogne, Le Règne Animal se regarde comme une ode à la nature et au vivre-ensemble. Les mutations physiques, effrayantes aux premiers abords, sont petit à petit apprivoisées à l’écran. Se déploient pourtant, dans les bois et les supermarchés, dans les rues et dans les champs, des êtres hybrides : une douce fillette-caméléon, une femme-ourse en quête de solitude, un homme-oiseau assez en colère pour planter ses serres dans la chair humaine…
Pour le réalisateur , cette histoire fantastique relève davantage de l’utopie que de la dystopie.« On vit aujourd’hui dans un monde qui se raréfie. On voit bien qu’il y a un effondrement de la biodiversité », constate Thomas Cailley. «Pour moi le film montre exactement l’inverse, un monde plus riche, plus divers, où il y a plus de différences et de variétés. C’est presque un souhait ».
«La façon dont la société réagit, elle est diverse, elle aussi », explique le réalisateur.« Il y a effectivement des pulsions sécuritaires et violentes. Mais il y a aussi des actes d’amour absolu, de solidarité », tient-il à rappeler. Plutôt qu’apporter une réponse morale, il souhaite avec son film poser une question : «Que fait-on de ce vivre-ensemble? Comment est-ce que l’on cohabite».
À travers François, le réalisateur montre un monde lui aussi en pleine mutation, qui doit s’adapter à ces changements. Par amour pour sa femme et son fils, François opte pour la bienveillance. Au contraire, l’intolérance d’autres personnages face à l’ouverture du centre pour créatures n’est pas sans rappeler l’accueil violent trop souvent réservé aux migrants en Europe.
Ce n’est pas le seul parallèle avec l’actualité. La pandémie de mutations génétiques dans le film résonne avec celle bien réelle du Covid 19, qui a commencé un an après le début de l’écriture du scénario.
Thomas Cailley a intelligemment entremêlé les deux lignes de développement du film : les recherches du mari, la transformation du fils. Quand l’un conserve l’espoir de retrouver son épouse, de la voir redevenir normale grâce aux progrès de la science, le second constate, rageur, qu’il est en train de perdre sa part humaine au profit d’un instinct animal.
La panique des premiers instants pour Emile se transforme en excitation en découvrant de nouvelles sensations en compagnie de l’homme-oiseau Face à la violence des humains, essentiellement motivée par la peur de l’inconnu, on voit toute la force des « bêtes », solidaires, ne cherchant qu’à se défendre.
Thomas Cailley tenait aussi à parler de transmission: l’exploration de l’énergie qui circule, les angoisses qu’on l’on connaît en devenant parent, le monde que l’on va laisser à nos enfants, la confiance en eux et en l’avenir, et comment eux aussi nous transmettent en retour des trucs très forts par moments.». Ce rapport père-fils, le réalisateur le souhaitait « au centre de l’histoire ».
Dans Le Règne animal, le rapport à la nature, le retour au sauvage, est un autre élément fondamental de la narration.
Il y a eu de nombreuses références cinématographiques ou «films matrices» comme les appelle Thomas Cailley pour la préparation du Règne animal, dont A bout de course, de Sydney Lumet, Un monde parfait de Clint Eastwood et Il était un père, d’ Ozu que Thomas Cailley trouve « magnifique sur cette fameuse question: comment on apprend à laisser nos enfants partir, et comment on leur apprend à vivre sans nous ».
Film sur la peur et le rejet de ceux qui ne nous ressemblent pas, Le règne animal a une dimension politique indéniable. Ce film est une proposition de cinéma riche, surprenante et ambitieuse avec une mise en scène inventive, immersive et variée. Inventif, fécond, surfant sur tous les genres qu’il s’agisse de la comédie, du fantastique et du drame, Le Règne animal est une très belle réussite.
Philippe Cabrol
https://www.youtube.com/watch?v=K1pfR_IC7pU