L’Arbre aux papillons d’or
Analyse du film : L’Arbre aux papillons d’or de Thien An Pham
Réalisateur : Pham Thiên Än
Genre : drame
Nationalité : Vietnam, France
Distribution : Le Phong Vu, Thi Truc Quynh, Nguyen Thinh
Durée : 2h58 mn
Sortie : 20 septembre 2023
Film magnifique. A voir absolument
« Sur l’atlas mondial du cinéma, le Vietnam était quasiment absent. Mais un jeune réalisateur de 34 ans, justement récompensé au Festival de Cannes 2023 par la Caméra d’or, fait apparaître son pays en s’affirmant déjà comme un auteur talentueux ».
Récit de « l’âme qui dérive et de la foi vacillante », récit de deuil sur fond de quête spirituelle et invitation au voyage intérieur, L’Arbre aux papillons d’or de Thien An Pham emprunte au cinéma de Bi Gan ses mouvements de caméra sophistiqués et à celui de Weerasethakul son observation sensuelle de la nature. L’immersion visuelle et sonore est extraordinaire. Les temporalités semblent se chevaucher dans ce séduisant labyrinthe.
Un soir, à Saigon, Thien et ses amis, sont en train de discuter de religion dans un bar de rue. Juste à côté, un violent accident de scooter a lieu : la belle-sœur de Thien est grièvement blessée et ne se remettra pas de ses blessures, mourant quelques jours plus tard et laissant son fils Dao, orphelin à l’âge de cinq ans. Thien se voit confier la tâche de ramener son corps dans leur village natal.
Au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne, Thien va à la rencontre des cendres des fondations de son berceau familial. Il retourne dans son village natal, une province reculée au Sud du Vietnam, pour les funérailles et en profite pour revoir d’anciens amis perdus de vue… Il part aussi à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années, ce grand frère, disparu et perdu de vue, devient un prétexte pour revisiter l’enfance, et par là s’interroger sur le sens de la vie par le biais de cet enfant à élever
Le voyage de Thien remet profondément en question sa foi. D’ailleurs, dans une belle séquence, le petit garçon demande à son oncle « Qu’est- ce que la foi ? », Thien lui répond « La foi, c’est ce que je cherche ». La croyance, thème central de L’Arbre aux papillons d’or, est ici affaire de résonance, au sens concret comme philosophique : Dieu n’est pas silencieux (Thien a été élevé dans la religion catholique, et une amie d’enfance qu’il retrouve à son retour est entrée dans les ordres), il multiplie au contraire les épiphanies en attendant que le jeune homme puisse s’en saisir.
Dans ce très beau premier film signé Thien An Pham (son personnage, inspiré de sa propre vie, porte le même prénom), le retour à la terre natale est l’occasion de danser avec les spectres.
Constitué de très longs plans-séquences qui avancent à un rythme très lent à travers la nature vietnamienne, L’Arbre aux papillons d’or a d’amples panoramiques et des travellings spectaculaires qui percent l’espace et troublent notre perception du temps.
Le film est un questionnement sur le rapport entre l’individu et la nature, entre l’individu et le monde, entre l’individu et le Divin (Thien a grandi dans l’une des rares communautés catholiques au Vietnam). Des scènes magnifiques racontent, avec patience, douceur et assurance comment accueillir les signaux extérieurs et rester ouvert aux petits miracles de la nature : un coq qui chante au loin, un rayon de soleil qui traverse un mur en ruines, une pluie battante qui s’arrête pile au moment d’une importante découverte,… Thien An Pham déroule le monde sous nos yeux et nous invite, comme son héros, à nous lover dans ses pliures.
« Depuis combien de temps négligez-vous votre âme ? », demande une femme âgée. Dans L’Arbre aux papillons d’or, si Thien accompagne la dépouille de sa belle-sœur dans le Vietnam rural, c’est aussi surtout à sa quête existentielle que nous assistons. Depuis combien de temps Thien néglige-t-il son âme ? Le voyage spirituel de Thien est un envoûtement. Doit-on s’en remettre à Dieu, aux superstitions, et quels seraient leurs plans ? Au fil des errances apparaît le merveilleux.
Si l’image est donc un moteur particulièrement vif au cœur de la proposition de cinéma du cinéaste, le son tient un rôle important. Le son et l’image impriment un mouvement, dans un rapport très sensoriel et organique qui déroute et fascine tout à la fois. Sans jamais perdre de vue son histoire, Pham Thien An utilise tous les moyens à sa disposition pour créer un film différent, à la fois préoccupé par l’histoire intime de ce personnage (un neveu orphelin, un frère disparu, des amis d’enfance duquel il s’est éloigné en partant à Saïgon), mais aussi par tout le territoire vietnamien (il est question d’un pan négligé de la Guerre du Vietnam : celle des combattants sudistes ayant affronté les forces révolutionnaires communistes) qui est magnifié à chaque scène. Précisons que la forme « déforme » l’espace-temps : chaque travelling ou panoramique ouvre l’espace, L’Arbre aux papillons d’or est un film fait d’ouvertures et de passages secrets.
Avec ce chassé-croisé entre rêve et réalité, entre responsabilité et fuite du présent L’arbre aux papillons d’or, titre sublime, est un film fascinant, rare et puissant qui atteste de la naissance d’un auteur avec un style d’une telle maturité et une telle assurance qu’on le croirait déjà confirmé avec un style d’une grande classe.
Philippe Cabrol