Déserts
Analyse du film : Déserts
Réalisateur : Faouzi Bensaïdi ;
Genre : comédie dramatique ;
Nationalité : France ;
Distribution : Fehd Benchemsi, Abdelhad Talbi, Rabii Benhaile ;
Durée : 2h00 mn ;
Sortie : 20 septembre 2023
« Dans ma tête, l’histoire démarrait dans cette marge urbaine d’un village marocain – comme un désert de la misère – avant de se poursuivre littéralement dans le désert. Il y avait aussi cette idée : il y a un désert pour chaque homme. Un espace nu où chacun se retrouve face à lui-même », déclarait Faouzi Bensaïdi en présentant son film à la Quinzaine des cinéastes, festival de Cannes 2023.
Mehdi et Hamid, pieds nickelés marocains du surendettement, habillés en costards cravates, emblématiques de leur fonction mais totalement inadaptés à leur périple poussiéreux, sont deux recouvreurs de dettes errant dans le désert marocain. Les deux pieds nickelés arpentent des villages lointains du grand sud marocain pour soutirer de l’argent à des familles surendettées. Chacune de leur rencontre se solde souvent par la confiscation d’un tapis ou d’une chèvre.
Dépeints comme des personnages grotesques perdus dans l’immensité du désert dans une succession de scènes souvent amusantes, le film ouvre à mi-parcours une autre voie sur un prisonnier en quête de vengeance croisant la route des deux protagonistes.
Le glissement de ce quasi film à sketchs vers un conte tragicomique, proche d’une certaine mythologie issue du western, semble guidé par plusieurs intentions. La première est d’abord d’opérer ce retournement pour faire du film une fable et d’inscrire le récit dans un contexte politique plus large. Alors que les deux recouvreurs désabusés ne traversent que des villages ruraux dépeuplés, l’arrivée de ce prisonnier ouvre une dimension tragique absente de la première partie de ce long métrage où les différents protagonistes sont définis par le paysage environnant. D’anti-héros désœuvrés traversant la poussière, ils se transforment en personnages de mythe.
Déserts intègre donc deux temps et deux filiations. Il installe, d’abord, un univers et une méthode burlesques, multipliant les clins d’œil au cinéma de Jacques Tati et celui d’Elia Suleiman. Mais, en aval de ce sublime retournement, c’est tout le film qui change de dimension. Magnétisé par le hasard d’une rencontre avec ce repris de justice ténébreux, le spectateur voit l’écran s’ouvrir sur une flamboyante mer de sable à perte de vue, et le film s’embarquer dans une longue errance existentielle et mélodramatique.
Ce film évoque les traditions et l’humanité de l’ancien avec la brutalité du nouveau. Désert est un western moderne et crépusculaire qui fait s’entrecroiser deux histoires. Il pointe aussi une société en crise, dans laquelle l’emploi est inexistant, la paupérisation galopante et le commerce déclinant. Il analyse des thèmes tels que la recherche de sens, la remise en cause d’un quotidien routinier et morne, le choc des valeurs, les traditions et l’humanité de l’ancien avec la brutalité du nouveau. « Un mystère plane, les personnages et les histoires s’enchevêtrent. Je vois le film comme une ronde. Le récit est fait de ruptures, de déplacements et de routes sillonnées à toute vitesse », déclare le réalisateur.
Observer les mécanismes sournois de l’usure et de l’avidité marchande dans l’espace le plus aride qui soit, le désert, permet au réalisateur de déployer un petit théâtre de la mesquinerie.
Philippe Cabrol
https://www.youtube.com/watch?v=xXJn7fduZuo