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Le Ciel rouge

Analyse du film : Le Ciel rouge de Christian Petzold

Les films de Christian Petzold, réalisateur allemand, sont souvent des surprises en eux-mêmes. L’auteur est en effet capable de composer des portraits de personnages forts, que ce soit sur fond historique, comme sous l’occupation dans Transit, dans l’après- guerre pour Phoenix, ou durant la Guerre Froide pour Barbara ou en inscrivant ceux-ci dans une contemporanéité affirmée, comme pour Jerichow Ondine, ou encore Yella Grand prix fort mérité au dernier Festival de Berlin, son nouveau long métrage, Le Ciel Rouge est une comédie de mœurs qui s’inscrit plutôt dans la seconde veine, et qui affirme, comme dans nombre de ses films, l’indépendance d’un personnage féminin.

Ce film s’inspire de ce qui est un véritable genre dans de nombreux pays, à savoir le film d’été : des jeunes gens s’en vont passer l’été quelque part. Dans le cinéma américain, ce genre de film correspond aux films d’horreur. Ces mois d’été sont, dans ce genre de films, pour les jeunes un monde dans lequel ils vont « grandir » grâce à leur rencontre avec le monde. C’est le dernier été avant l’entrée dans l’âge adulte, le dernier été d’insouciance.

Après s’être un peu égarés, sur un supposé raccourci, deux amis, Léon, écrivain, et Felix, photographe, arrivent dans la maison de la mère du second, au bord de la mer Baltique. Mais celle-ci est déjà occupée par une jeune femme, Nadja…Dans ce contexte de villégiature estivale, les contraintes de travail (Léon reste «  en panne » devant la feuille blanche, Felix cherche l’inspiration pour un portfolio) et les frustrations viendront enflammer les esprits.

Utilisant comme parabole, les incendies de forêts qui semblent peu à peu se rapprocher, Christian Petzold réussit avec brio à décrire les maladresses de l’ approche amoureuse, dirigeant ses personnages vers une situation de blocage. Grâce à son petit groupe de personnages disparates, c’est la liberté d’une jeunesse qui s’exprime, avec comme contre point l’attitude réservée et maladroite de Léon, et les hésitations de Felix.

Les couples se forment et se séparent dans une fluidité déconcertante, avec le regard extérieur de Léon, semblant toujours se trouver à l’extérieur de l’action, en attente de quelque chose. S’il est au centre de l’attention du cinéaste, il est pourtant en dehors de toute l’action qui se déroule : il ne comprend pas ses camarades, ne participe pas à leurs jeux, se réfugie dans le travail et se trompe sur à peu près tout et tout le monde. Dans le jardin de la maison, il marque son territoire. Tout oppose les deux jeunes hommes. La classe sociale, le physique, le caractère. Felix est ouvert, positif, sympathique. Léon est bougon, négatif, maladroit.

Léon représente des clichés contemporains : il juge son entourage, comme Nadja qu’il classe dans la catégorie des dilettantes, tout juste bonne à vendre des glaces à proximité de la plage. Quand il découvre qu’elle est en fait une doctorante en littérature allemande, il réagit comme dans toutes les autres situations du film, avec jalousie et agressivité, avant de se réfugier en lui-même, loin des autres. Le feu lui-même, qui dévore à la fois les paysages et les hommes comme le montre le drame ultime du film, échappe à la vue de Léon, qui se croit loin de cette menace.

Le Ciel rouge fait résonner le thème qui parcourt l’univers romanesque du cinéaste : le labyrinthe. Un dédale d’impressions intrigantes nous est proposé par le réalisateur. Léon, barricadé dans ses certitudes et ses ambitions, va faire un apprentissage essentiel : la découverte des autres. Les êtres eux-mêmes sont des labyrinthes, chez Christian Petzold.

Dans cet univers qui fait penser aux marivaudages chez Éric Rohmer, une inquiétude très actuelle point peu à peu à l’horizon. Des incendies lointains progressent, des cendres flottent dans l’air jusqu’à la maison entourée d’arbres.

Christian Petzold semble considérer la création bien fragile. Sans dévoiler ce qui se joue dans la dernière partie de son film, dramatique et émouvante, il faut saluer le message d’espoir qui, malgré tout, s’y affirme. Dans nos existences labyrinthiques, où des flammes surgissent comme un terrible Minotaure, l’art est notre fil conducteur. Il est persévérance, résistance, il fait lien entre nous, nous dit le réalisateur.

Le Ciel rouge est un film sur le regard : celui de Léon qui se trompe systématiquement sur la réalité qu’il observe, celui de Nadja qui devine tout, celui de Felix qui photographie ceux qui regardent la mer, de face et de dos. Celui du réalisateur, enfin, « qui nous mène avec une maestria confondante, au fil d’une intrigue imprévisible, jusqu’au bout d’un film merveilleux, et in fine profondément émouvant ». (d’après E. Padovani, journalzebuline.fr)

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr