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Et la fête continue !

Analyse du film : Et la fête continue ! de Robert Guédiguian

On pourrait faire un parallèle entre Et la fête continue ! de Robert Guédigian et Le grand chariot de Philippe Garrel. Bien que formellement très différents, les deux films entretiennent une réflexion assez proche sur la jeunesse et la transmission : que transmet-on ? A qui et comment ?

« Il faut affirmer sans cesse que rien n’est fini. Que tout recommence», fait dire Robert Guédiguian à ses personnages à la fin de Et la fête continue! Avec ce vingt-troisième film, Robert Guédiguian retrouve la chaleur de son soleil marseillais et sa famille de cinéma : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, auxquels se joignent quelques acteurs de la nouvelle génération : Lola Naymark, Alicia Da Luz Gomes, Grégoire Leprince-Ringuet et Robinson Stévenin. Une fois de plus, cette œuvre repose sur une complicité établie avec les spectateurs au fil du temps et déploie des variations sur des motifs familiers: le militantisme, les conflits internationaux, la misère rampante, le poids de la famille , le cynisme politique, l’Arménie meurtrie ou de la fragmentation suicidaire de la gauche.

Le film s’ouvre avec les images d’archives du lundi 5 novembre 2018, lorsque trois immeubles de la rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles à Marseille, s’effondraient. Causant la mort de huit personnes et révélant la défaillance de la politique d’urbanisme de la ville, ce malheureux événement incita des associations à manifester pour l’obtention de logements salubres pour tous. «Cet effondrement est une métaphore de notre manière traditionnelle d’envisager l’action collective. C’est ce dont je voulais parler, et pour le faire à travers un film, il faut trouver une forme : pour cela, j’ai recours à des voix intérieures, des monologues, des flash-back, des souvenirs, des rêves, de la variété, à ce qui s’apparente presque pour moi à du théâtre musical. C’est pour cela que je parle d’agitprop. Et le lien entre toutes ces formes qui donnent forcément quelque chose d’éclatée est à chercher autour d’une histoire de famille, d’un personnage principal, qui provoque de la générosité autour d’elle, qui est comme porteuse d’une forme d’aura magnétique qui améliore le sort de ceux qui l’entourent ».

Rosa, personnage solaire et fédérateur de cette communauté, conjugue tout à la fois culte de la famille et solidarité envers les plus démunis. Elle est infirmière dans un hôpital qui manque de moyens au point de décourager les nouvelles recrues. Minas, son second fils, médecin prend soin des migrants parqués dans les camps de rétention dans l’indifférence générale. Tête de liste aux prochaines élections municipales, Rosa ne peut que constater la désunion des partis politiques plus préoccupés par l’affirmation de leur pouvoir que par l’intérêt collectif… Et puis, alors qu’elle ne l’attendait plus, elle retrouve l’amour.

Malgré son aspect choral, le film dresse le portrait en miroir de deux femmes, à deux âges de la vie: Rosa, veuve de 60 ans, infirmière proche de la retraite, militante et amoureuse et Alice, femme pétillante, croyant à la solidarité et cheffe de chœur dans une association aidant les personnes délogées.

Guédiguian a 70 ans. Sa jeunesse a eu un pied dans le militantisme des années 1970 et un autre dans les désillusions des années 1980. Bien que n’ayant cessé de résister, à travers ses films, il n’a pu que constater l’avènement d’un monde diamétralement opposé à son idéal et à ses valeurs. Robert Guédiguian entrelace dans Et la fête continue le politique et l’intime, et questionne le sens des valeurs, entre désillusion et résistance. Pour le réalisateur, cela passe par une attention particulière portée à la jeune génération et en même temps en se concentrant sur la beauté de ce que peuvent encore produire les initiatives locales à l’échelle du couple, de la famille, du quartier.

Dans un monde dominé par l’égoïsme, le cinéaste affirme que seule la force de la poésie et de l’amour sous toutes ses formes permettra d’oublier les désillusions politiques et de surpasser les drames. Le film navigue entre deux mondes, politiques ou personnels, entre rêves et désillusions, jonglant entre optimisme et pessimisme, pour nous offrir une fin solaire. Avec Et la fête continue ! Guédiguian retrouverait-il foi en la lumière ?

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr