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Dune 2

Analyse du film : DUNE 2
Fable politique retorse, le deuxième opus du blockbuster pessimiste de Denis Villeneuve manifeste une défiance remarquable vis-à-vis du mythe du héros et son manichéisme.
Paul Atréides s’unit à Chani et aux Fremen pour mener la révolte contre le clan Harkonnen et ceux qui ont anéanti sa famille. Hanté par de sombres prémonitions, il est confronté au plus grand des dilemmes : choisir entre l’amour de sa vie et le destin de la galaxie.
Denis Villeneuve renoue avec le parcours “biblique” de Paul Atréides sur la planète-désert et achève son adaptation du roman culte de Frank Herbert (1965). Libéré des obligations de l’introduction, le réalisateur canadien livre un deuxième volet magistral, maîtrisé de bout en bout, visuellement étourdissant et d’une richesse thématique inouïe.
Après avoir esquissé les contours d’Arrakis, Villeneuve et le scénariste Jon Spaihts(Doctor Strange, Prometheus) plongent dans ses entrailles pour donner encore plus de consistance au monde de Dune. Plus vibrant et vivant que jamais, celui-ci est un parfait écho au voyage du héros. On accompagne la maturation de Paul Atréides tout en (re)découvrant Arrakis avec lui.
Le film donne ainsi du corps au peuple Fremen et entremêle les fils de la religion, de la poli-tique, du “tapis social” et du mystique pour tisser avec maestria un grand récit sur le pouvoir, fidèle en cela au roman original de Herbert. Dune : deuxième partie est un ballet passionnant entre Star Wars et Succession, qui raconte ce qui se joue au cœur du pouvoir : comment le gagner, comme il transcende, comment il corrompt, comment il dépasse souvent ceux qui le possèdent.
Cette suite convainc aussi et avant tout sensoriellement. Denis Villeneuve et son talentueux chef opérateur Greig Fraser abandonnent enfin l’aspect “pub de parfum” désaturé du premier opus pour nous offrir un festin pour les rétines. Le cinéaste canadien donne à voir une galaxie d’une richesse graphique étourdissante. Arrakis se dote ainsi de mille visages et la planète Giedi Prime est terrifiante à souhait. Époustouflant
Certes, Dune : deuxième partie n’échappe pas à sa nature de récit monomythique, un concept développé par le professeur Joseph Campbell qui défend que tous les récits modernes reprennent le même schéma narratif. Le parcours christique de Paul Atréides, inévitable, le sera sans doute trop pour certains spectateurs. Cela dit, Villeneuve a l’intelligence de nourrir autour de lui une multitude de destins plus intéressants — Jessica (Rebecca Ferguson), Stilgar (Javier Bardem), Feyd-Rautha (Austin Butler), mais surtout Chani.

LES PRISONNIERS DU DÉSERT
C’est l’une des figures de style que Dune 2 impose dès ses premières minutes : des plans intra-utérins, où le liquide amniotique et ses particules deviennent une autre forme de cosmos. Nul doute que Denis Villeneuve relie par ce motif sa fresque de science-fiction au bébé flottant de 2001 : L’Odyssée de l’espace, mais c’est aussi là que se joue toute la note d’intention de ce deuxième chapitre
Là où le volet inaugural souffrait (parfois) de son exposition un brin mécanique, alternant entre les planètes et les multiples protagonistes pour traduire un compte à rebours tendu, Deuxième partie prend son temps et accompagne dans un premier tiers enivrant la vie des Fremen, ainsi que la découverte de leurs coutumes par Paul. Bien sûr, le scénario pose ses billes pour la suite, mais la caméra se veut plus charnelle, en accord avec les sensations exacerbées de personnages sujets à l’épice et autres psychotropes de l’espace. Par cette ouverture de l’esprit et l’ambiguïté de sa dimension spirituelle, le film se raccroche toujours aux corps, à leur vision et leur expérience du monde, quels que soient leurs biais.
Personnages absents ou coupés, événements réécrits et réarrangés, morceaux d’intrigues mis de côté : Ci-dessous 3 différences entre le livre Dune et le Dune : Deuxième Partie.

ALIA, LA SOEUR DE PAUL
C’était l’un des éléments les plus mystérieux de ce deuxième volet avant sa sortie : comment Denis Villeneuve et ses co-scénaristes allaient gérer l’arrivée d’Alia Atréides ? Soeur de Paul puisque fille de Lady Jessica et feu duc Leto, Alia Atréides a une importance capitale dans la guerre face aux Harkonnen puis dans le reste de la saga littéraire de Frank Herbert – toutefois, on se contentera de parler de son rôle dans le premier livre ici.
Tout démarre quand Lady Jessica passe le rite de l’Eau-de-Vie alors qu’elle est enceinte. Les pouvoirs qu’elle acquit à ce moment sont également transmis à son foetus, lui donnant une pleine conscience adulte avant même sa naissance. De fait, quand Alia pré-naît en 10191, elle est d’ores et déjà capable de parler comme une adulte, de bouger comme une adulte… et a accès à la mémoire de ses ancêtres féminins et masculins (soit un pouvoir plus fort que les Révérendes Mères).
Pendant deux ans, elle est donc élevée aux côtés des Fremen. Elle apprend à mieux contrôler ses pouvoirs avant de se faire capturer par les forces Harkonnen et Sardaukar. Un moyen ha-bile d’en faire une otage de choix pour le compte de l’Empereur et une monnaie d’échange importante pour calmer les ardeurs de Paul Atréides. Pas de chance pour eux, ça ne fonctionne pas comme prévu. Paul est décidé à prendre le trône malgré les menaces pesant sur Alia et peut surtout communiquer avec elle de manière « télépathique » facilitant ses actions.
Lors de la bataille d’Arrakeen, l’Empereur ordonne donc au baron Vladimir Harkonnen de tuer la jeune fille en la jetant dans la tempête. Sauf qu’Alia tue finalement le Baron Vladimir Harkonnen avec un Gom Jabbar (une petite aiguille empoisonnée qu’on voit au début de Dune) et lui révèle qu’elle est sa petite-fille, le Baron étant le père de Jessica et le grand-père de Paul. L’Empereur est vaincu et Paul accède au trône.
Pourquoi avoir presque totalement éclipsé Alia dans Dune 2 ? Probablement pour faciliter l’adaptation, tout simplement. Difficile de porter à l’écran une fille de deux ans parlant et ma-niant les armes comme une adulte. En réduisant le personnage d’Alia à son état foetal, com-muniquant par l’esprit avec sa mère Jessica et son frère Paul, Denis Villeneuve a ainsi pu mettre plus en avant les personnages déjà présents dans le premier volet.
Ainsi, cette suite permet de mieux creuser le parcours de la Bene Gesserit et de changer certaines situations sans dénaturer les livres (Paul tue lui-même le Baron dans Dune 2) tout en montrant l’importance majeure d’Alia (si d’autres films sont commandés). En effet, Alia est au coeur des visions de Paul à travers les traits d’Anya Taylor-Joy, incarnant la jeune fille à un âge plus avancé. C’est une manière très maligne d’adapter cet élément complexe de l’intrigue – sur lequel David Lynch s’était un peu cassé les dents en 1984

LE FILS DE PAUL ET CHANI
Sacrée différence. Dans le livre, Paul et Chani ont un fils, nommé Leto II – à ne pas con-fondre avec leur autre fils du même nom, connu comme l’Empereur-Dieu et qui deviendra une sorte de ver des sables, mais c’est une autre histoire. Appelé Leto II the Elder pour éviter la confusion, le premier fils de Paul et Chani naît rapidement après leur rencontre, une fois que le héros arrive chez les Fremen avec sa mère. Et il ne fait pas long feu puisqu’il est tué tout jeune.
Au milieu de la grande guerre sur Arrakis où l’Empereur et les Harkonnen envoient leurs troupes pour combattre les Fremen et Muad’Dib, bébé Atréides est tué par les Sardaukars dans l’attaque d’un sietch fremen, durant lequel Alia est enlevée. C’est une étape impor-tante pour le personnage de Paul Atréides. Lui qui aligne les victoires dans un sentiment de toute-puissance est finalement touché en plein cœur par ses ennemis. « Il se sentit vide, une coquille vide sans émotion. Tout ce qu’il touchait amenait la mort et le chagrin. Et c’était comme une maladie qui pouvait se répandre à travers la galaxie ».
Et c’est évidemment un événement qui pèsera sur sa conscience lorsqu’il choisira d’embras-ser sa condition de messie et guerrier, avec des conséquences dramatiques.

Pourquoi avoir zappé Leto II, déjà absent de la version de David Lynch (mais présent dans la mini-série de 2000) ? Ce choix est fortement lié à un autre : la gestion du temps et des el-lipses dans Dune : Deuxième Partie. Dans le livre, deux années passent pour installer Paul parmi les Fremen, développer plus d’étapes dans son parcours, et faire grandir ce personnage en même temps que bébé Atréides.
Le film use de quelques ellipses, notamment après le premier baiser entre Paul et Chani, mais c’est beaucoup plus rapide. Difficile alors d’ajouter un bébé dans ce timing nettement plus resserré, qui accélère déjà l’évolution du héros.
La présence de Leto II aurait certainement permis de développer les personnages de Paul et Chani, tout en donnant une autre ampleur dramatique à la guerre. Mais c’était forcément au prix du rythme de l’aventure, sachant que Dune 2 a déjà beaucoup de choses à raconter en 2h46. Logique et compréhensible donc, même si la naissance puis la mort d’un enfant Atréides aurait rendu la dernière partie du film encore plus puissante.

OÙ EST THUFIR HAWAT ?
Mais où est donc passé Thufir Hawat ? Le personnage crucial du roman, mentat (ordinateur vivant) de son état, avait un rôle à jouer dans le premier long-métrage, certes moins important que dans l’oeuvre originale, mais remarqué. Il était campé par le très bon Stephen McKinley Henderson et surtout il survivait à la fin, conformément aux écrits de Frank Herbert.
Dans ces écrits, il évolue au coeur de l’affrontement entre les Harkonnen et Paul… côté Harkonnen. C’est pourquoi on pouvait logiquement s’attendre à le voir revenir parmi la palette de personnages secondaires. À l’origine, Hawat est fait prisonnier par les nouveaux maîtres d’Arrakis et, suite à l’inoculation d’un poison, remplace en quelque sorte le mentat Piter de Vries, tué par Leto. Mais il tente à sa manière de résister. C’est notamment lui, et non pas le baron, qui s’arrange pour mettre face à Feyd-Rautha un guerrier non drogué dans l’arène. Lorsqu’il réalise qu’il a aidé les Harkonnen dans leur croisade contre Paul, il se suicide avec un poison qui lui était destiné.
Un destin tragique qui sied bien au désespoir dont est empreinte la deuxième partie de l’adap-tation, d’autant qu’il évolue au coeur de la machine infernale antagoniste, largement explorée par la caméra de Denis Villeneuve. Le réalisateur a avoué avoir gagné à tourner les deux films séparément. Peut-être en a-t-il profité pour réduire un peu sa large galerie de person-nages et faire respirer le récit.
Le fait est que Thufir a été délibérément mis de côté afin de privilégier d’autres aspects, comme Villeneuve lui-même l’a expliqué à Screen Crush : « J’étais amoureux de Thufir Ha-wat. C’est un personnage que j’adore. Mais j’ai dû faire le choix difficile de faire une adap-tation du Bene Gesserit, et de concentrer le film sur cette organisation. J’aurais voulu qu’il y ait plus de Thufir Hawat ».
En juillet 2022, il avait été annoncé au casting du film, ce qui signifie qu’il a très probable-ment été coupé au montage. Le comédien est d’ailleurs remercié dans le générique. Il n’est pas le seul, car Tim Blake Nelson avait également été annoncé… avant de connaître le même sort. Voilà un malheur supplémentaire qu’il n’a pas vu venir.

Il y aura un DUNE 3
Denis Villeneuve n’a jamais caché son envie d’adapter Le Messie de Dune. Le deuxième tome de la série de livres de Frank Herbert apporte une véritable conclusion à l’arc narratif de Paul Atréides et Chani. Mais pour faire un troisième film, le Québécois doit d’abord convaincre le public (et la Warner) avec Dune 2. Le premier long-métrage avait récolté plus de 400 millions de dollars de recettes (pour un budget d’environ 160 millions), ce qui avait suffi pour valider sa suite.
En France, le deuxième film a réalisé un lancement nettement au-dessus du premier : 166 361 entrées (260 811 en comptant les avant-premières) contre 115 000 pour l’opus de 2021. C’est le meilleur démarrage de 2024, et le plus gros depuis Barbie. Ça donne une idée du phénomène, qui démarre encore plus fort qu’Oppenheimer et ses 150 000 entrées. Et Warner semble tellement confiant du succès que Dune 3 semble déjà confirmé vu les réactions de Denis Villeneuve et Hans Zimmer.
Philippe Cabrol

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