Nome
Analyse du film : NOME de SANA NA N’HADA
Nome de Sana Na N’Hada, Guinée-Bissau/ France/ Portugal/ Angola, 2023, sortie en salle le 13 mars 2024, 1h52. Avec Marcelino Antonio Ingira, Binete Undonque, Marta Dabo
Rares sont les fictions qui montrent l’histoire des pays d’Afrique. Nome raconte l’histoire de la Guinée-Bissau et sa révolution à travers une histoire personnelle. Autour d’un antihéros aux desseins troubles, Sana Na N’Hada se replonge dans l’époque mouvementée qui a conduit, en 1974, à l’indépendance de son pays. Ce film est une splendeur, un choc, une découverte.
Venu à Cannes, à un certain regard en 1994, avec son long-métrage Xime, le bisso-guinéen Sana N’ Hada, aujourd’hui âgé de 73 ans, a connu une carrière entre fictions et documentaires. Avec Nome, il mêle brillamment les deux, à l’occasion d’une plongée dans la guerre d’indépendance de son pays. Nome a été présenté dans la section ACID au Festival de Cannes 2024.
Sana Na N’Hada avait à l’origine un projet de triptyque, consacré à la guerre d’indépendance mené contre les colonisateurs portugais tout au long des années 60. Mais il n’a pu tourner que le premier volet Nome qui traite de la guerre mais aussi de l’après-indépendance.
Le film s’appelle Nome, cela signifie en créole «homonyme», un homme «qui pourrait porter le nom de tous les autres et adopter tous les points de vue». Par ce titre, le réalisateur veut exprimer que nous sommes tous ensembles responsables de ce qui nous arrive. Si c’est une réussite, c’est la réussite de tous. Dans le cas contraire, c’est la faute de tous, explique le réalisateur.
Guinée-Bissau, 1969. Une guerre violente oppose l’armée coloniale portugaise aux guérilleros du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et Cap Vert. Après avoir fait un enfant et par crainte d’être banni de sa famille, Nome quitte son village et rejoint le maquis. Après des années, il rentrera en héros, mais la joie laissera bientôt la place à l’amertume et au cynisme. Nome se présente comme un témoignage aigu de la libération de l’occupant portugais et de la création de la Guinée-Bissau, pays qui continue encore aujourd’hui de souffrir d’une instabilité politique permanente, préjudiciable à sa population. Nome est aussi un récit universel aux allures de conte sur l’homme et son rapport au pouvoir, son besoin de reconnaissance et sur les liens entre tradition et modernité.
Plusieurs récits sont enchevêtrés dans Nome: l’enfant qui va construire un bombolon (un tambour à fente africain servant à transmettre des messages de village en village. C’est une tradition très répandue en Guinée-Bissau) pour faire hommage à son père, Nome adulte, Nambù la jeune femme enceinte et abandonnée, qui devra lutter pour exister. Nome et Nambù vont prendre des chemins différents : lui part lutter contre les portugais, elle s’exile avec son bébé sur les routes. Si le récit développe les parcours parallèles de ses deux héros, le réalisateur entend montrer différentes formes prises par la résistance face aux colons. Nome et Nambù incarnent les désirs de liberté et d’émancipation. Ce besoin de liberté se lit autant dans le rejet de la colonisation portugaise que dans l’affranchissement de coutumes.
Sana Na N’Hada analyse dans son film les causes des dérives qui ont déchiré son pays et ce à travers deux parties : la première avant et pendant le conflit et la seconde après le conflit. C’est une ellipse de six années qui sépare les deux parties. La seconde partie est urbaine et analyse avec justesse à travers l’évolution du personnage principal, une période chargée de promesses mais déjà gangrenée par l’affairisme et le trafic.
Nome peut aussi se lire et se voir sous deux angles: un premier en tant que critique acerbe sous la forme d’un conte et un second en tant que fiction avec des images d’archives étonnantes. Dans ce film, la place des archives est très importante. Elles rythment le récit du début à la fin. Ce qui rend ce film unique est le fait que Sana Na N’Hada a été envoyé, par Amilcar Cabral, leader de la guerre d’indépendance, à Cuba à 17 ans pour apprendre le cinéma. Il est revenu dans son pays en 1972 pour filmer la fin du conflit, et la naissance de l’État bissau-guinéen. Il insère donc ses propres images d’archives, historiques, dans son récit fictionnel.
Dans la culture de Sana Na N’Hada, personne ne peut disparaître définitivement après la mort. Le réalisateur explique que sa culture est animiste et afin que les esprits reposent en paix, il y a nécessité de faire une cérémonie au bombolon. C’est un langage codé, les morts pourront laisser les vivants en paix. Un esprit accompagne Nome tout au long du film. Ce fait peut sembler bien étrange à la culture française, mais la place des esprits dans la culture guinéenne est très importante. La présence de cet esprit diminue dans ce long-métrage au fur et à mesure que l’histoire progresse et que la rupture avec les traditions se réalise.
La musique joue un rôle fondamental, elle a été composée par le fils d’un grand musicien guinéen qui a disparu dans un accident d’avion, José Carlos Schwarz.
Ce film est minimaliste, on ne voit pas de combats spectaculaires, les conflits sont suggérés par l’usage des sons et les images d’archives d’époque. Avec ce film hypnotique, poétique et politique, le réalisateur a fait le choix ambitieux de mêler subtilement l’histoire à l’Histoire.
Philippe Cabrol