Un autre monde
A voir prochainement à la télé : Un autre monde, Mardi 2 avril, France 2 à 21h10
Analyse du film : Un autre monde
Réalisateur : Stéphane Brizé ; Genre : drame ; Nationalité : française
Distribution : Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker…
Durée : 1h 37mn Sortie : 16 février 2022
Après notamment La loi du marché et En guerre, le cinéaste français Stéphane Brizé réalise Un autre monde. Ces trois films forment une trilogie fouillée et percutante sur le milieu déshumanisé du travail. On comprend rapidement qu’Un autre monde, troisième volet de ce triptyque consacré à la violence du monde du travail, répond directement à En guerre dans lequel le réalisateur avait ausculté la fermeture d’un site industriel du point de vue des salariés risquant de perdre leur emploi.
Dans Un autre monde un patron d’entreprise, Philippe, est dépassé par les exigences de la multinationale qui tire les ficelles de son usine. Après avoir accepté de mener à bien une première vague de licenciements, Philippe reçoit l’ordre d’en préparer une nouvelle. Or la multinationale dont fait partie son usine affiche des résultats excellents. La seule explication est simple : les actionnaires en veulent toujours plus. Cadre performant Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. Amené à plusieurs reprises à élaborer des plans sociaux pour dégraisser Elson (l’entreprise fictive de sous-traitance en électroménager qui l’emploie), il va peu à peu tenter de s’opposer aux directives qu’on lui adresse. Malgré les pressions de plus en plus fortes de sa directrice parisienne, il a du mal à tenir le choc ainsi que ses objectifs.
Nous voyons ce cadre d’entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l’un font basculer la vie familiale. Philippe et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. C’est d’ailleurs sur une scène très forte que le réalisateur ouvre son film : une réunion de concertation du couple avec ses avocats pour régler les questions financières de leur divorce…
C’est donc le mécanisme dans lequel se trouvent pris les cadres responsables des suppressions de postes qui intéresse le cinéaste. Vincent Lindon y incarne avec humanité cet homme de pouvoir. Aussi malheureux que les ouvriers sous ses ordres, il se voit acculé à la dépression nerveuse.
Pour le grand patron américain du groupe Elson ou pour la directrice de la branche française en passe de diriger toute la section Europe de ce même groupe, le vrai courage n’est pas de vouloir sauver des emplois, des gens faibles, mais de faire preuve de stoïcisme, de se protéger de tout sentimentalisme pour rester du côté des forts, pour permettre à l’entreprise de gagner la guerre économique en sacrifiant les maillons faibles. Dans ce film les responsables en ressources humaines apparaissent comme les rouages « d’une grande machine prête à tout pour dégager des dividendes ». Les dysfonctionnements ne sont pas causés par les salariés, mais par des structures régissant l’organisation du pouvoir au profit d’actionnaires.
Le film, dans sa structure et avec son montage habile, développe le va-et-vient continuel entre les sphères de la vie professionnelle et de la vie privée de son personnage principal, sans qu’aucune ne réponde directement à la précédente, les informations étant données dans une scène suivante . Ce montage est la source de l’efficacité de ce long-métrage dans sa critique du management contemporain et dans les replis psychologiques de la conscience de Philippe.
Un autre monde montre aussi que l’étiolement du tissu social ne concerne pas seulement la seule strate entrepreneuriale, mais touche également la vie intime des protagonistes. Stéphane Brizé s’inspire des recherches de Christophe Dejours, sociologue spécialiste de la souffrance au travail, qui montre comment le travail nous affecte aussi bien dans la vie professionnelle que dans la vie privée et notamment dans les rapports de couple, comme le dit la femme de Philippe lors du rendez-vous avec les avocats : « Je suis mariée à Elson ! ».
Film percutant, Un autre monde s’attache à décrire « le côté pervers » d’une mondialisation ultralibérale qui crée des conditions de vie impossibles pour les employés, mais aussi pour les cadres.
“Un autre monde”, dit le titre. Mais quel autre monde ? À la fin du film on se demande ce que vont devenir les protagonistes ? « Où trouve-t-on un autre monde ? »
Philippe Cabrol