Maria
De retour du Festival de Cannes : analyse du film Maria
Sortie le 19 juin 2024 en salle | Biopic, Drame, 1h40
De Jessica Palud | Par Jessica Palud, Laurette Polmanss
Avec : Anamaria Vartolomei, Matt Dillon, Yvan Attal
La réalisatrice Jessica Palud retrace avec pudeur le parcours atypique et traumatique
de l’actrice Maria Schneider, tombée dans la dépression et la drogue après le tournage
controversé du Dernier Tango à Paris.
Au-delà de l’histoire d’un film sulfureux et d’un scandale sociétal, Maria est un drame
sur la place des femmes dans le cinéma.
« J’ai eu une belle vie. » Ainsi commence le récit de Vanessa Schneider sur sa cousine,
l’actrice Maria Schneider (Tu t’appelais Maria Schneider, Grasset). Mais Jessica Palud n’a
pas retenu cette facette optimiste de la vie de Maria Schneider. La réalisatrice ne retient que
quelques chapitres de l’ouvrage et le scénario du film se construit autour de la destruction et
la fragile reconstruction de la comédienne.
Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte, elle a 19 ans en 1972 et la majorité est à
21 ans, lorsqu’elle tourne un film devenu culte : Le Dernier tango à Paris. Elle accède
rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au
scandale.
À sa sortie en salles en 1972, ce film du réalisateur italien Bernardo Bertolucci déclenche un
scandale. Qualifié de débauche sexuelle, ce long-métrage se voit immédiatement interdit aux
mineurs. Le film – malgré les boycotts – fut un immense succès commercial. Acclamé par la
critique, Le Dernier Tango à Paris a été nommé deux fois aux Oscars et a raflé, au passage,
200 millions de dollars. De son côté, l’actrice ne s’est vu proposer que des rôles dénudés et a
été résumée à son statut d’objet sexuel. Le scandale est immense. L’Italie interdit le film, en
détruit les copies et condamne même les deux comédiens à de la prison. Si Brando rentre
tranquillement aux États-Unis, Maria reste seule dans la tourmente, traquée par la presse et
très critiquée par le public. En 2013, Bertolucci confirmait que la comédienne n’avait pas
donné son consentement et que sa réaction était authentique. Quand Bernardo Bertolucci
choisit Maria Schneider pour son film, il lui avait dit « Vous avez quelque chose de blessé qui
me plaît beaucoup ».
Le film raconte donc Maria, adolescente rejetée par sa mère et en quête du regard de son père
(le comédien Daniel Gélin qui ne l’a pas reconnue). Débutante au cinéma, elle est plus
qu’étonnée quand elle fut choisie par Bernardo Bertolucci avec comme partenaire Marlon
Brando, alors âgé d’une cinquantaine d’années. Un jour, sur le tournage, Bertolucci décide de
changer une scène pour la rendre plus violente. Il donne ses consignes à Brando sans
prévenir Maria. C’est donc sous le regard de toute l’équipe et pendant que la caméra tourne
que Maria Schneider se fait plaquer au sol par Brando qui la sodomise, s’aidant d’une motte
de beurre. Bertolucci filme ta terreur et ta colère. (…) Ça n’a pas duré longtemps, mais pour
toi, une éternité. » Cet extrait du livre devient le point culminant du film
Vu son succès, Le dernier Tango à Paris aurait pu permettre à Maria Schneider de devenir
une star. Mais, à cause de ce viol non consenti, de sa plongée dans les fêtes et la drogue, elle
ne parviendra jamais à refaire surface. On la ramène toujours à cette sodomie à même le sol.
Maria a été agressée et la réalisatrice nous dévoile la dévastation de cette jeune femme à
cause de la perversité d’un cinéaste et de l’impunité d’une star.
Le film montre ce moment fatidique du point de vue de la jeune comédienne, très fortement
choquée par la violence de l’agression. La caméra ne quitte pas le visage, les larmes, l’effroi
de Maria. La réalisatrice exprime le seul ressenti de Maria, avec une mise en scène qui
s’attache le plus souvent à son visage et à son corps meurtris. Cette scène est remarquable et
exprime de façon extraordinaire la détresse de Maria. A un moment du film, Maria explique à
un journaliste : « J’ai pas eu le choix, je vous dis. Mes larmes étaient vraies. Ils ne m’ont pas
laissé le choix ».
Maria Schneider, décédée en 2011, a été l’une des premières à parler des agressions qu’elle a
subies. À l’heure de #MeToo, l’existence et la carrière fracassées de Maria Schneider font
évidemment écho aux témoignages des actrices qui osent aujourd’hui dénoncer les
humiliations qu’elles ont subies et subissent sur ou en dehors des plateaux de tournage.
Jessica Palud a eu l’intelligence de se focaliser sur quelques moments clés de son parcours
tragique (Le Dernier Tango, l’adolescence et les relations conflictuelles avec sa mère, ou
encore sa rencontre avec une étudiante en cinéma qui l’accompagnera dans ses tentatives de
désintoxication).
La réalisatrice décrypte, avec pudeur un rapport de domination et ses conséquences. On sent
une vraie réflexion sur la fabrication du cinéma et « ce que l’on fait parfois en son nom ».
Anamaria Vartolomei prête son charisme et sa vulnérabilité à Maria Schneider. Elle est juste
dans son rôle et intense durant toute la durée du film, tantôt lumineuse, tantôt blessée. La
jeune actrice porte tout le film sur ses épaules. De même Matt Dillon(Brando) est
étonnamment convaincant et Giuseppe Maggior (Bertolucci) joue de façon juste.
Maria reste un hommage à l’une des nombreuses victimes d’un cinéma qui broie les femmes,
et raisonne grandement par les thèmes qu’il aborde à notre époque.
Ce film a été présenté dans la section Cannes Première du festival 2024
Ajoutons que Jessica Palud a commencé sa carrière en tant que stagiaire, alors qu’elle n’avait
pas 20 ans, avec Bernardo Bertolucci sur le film Innocents – The Dreamers (2003). Elle fut
admiratrice de son travail. Elle a donc connu, 30 ans après, l’homme qui a dirigé Maria
Schneider. Elle entendait, avoue-t-elle parler de tout et de n’importe quoi du tournage du
Dernier tango à Paris. Toujours est-il que c’est une histoire qui est restée gravée en elle et
qu’elle s’était demandée ce qui s’était réellement passé.
Jessica Palud a découvert également durant sa profession d’assistante sur les plateaux de
cinéma, les relations qui se nouent entre des cinéastes ivres de leur puissance et des
comédiens en situation de vulnérabilité.
Philippe Cabrol
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