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Le Roman de Jim

Petit trésor de douceur et d’humanité, méditation sur les liens familiaux – ceux qui unissent comme ceux qui contraignent – portrait délicat d’un homme devenu père par accident, Arnaud et Jean-Marie Larrieu mettent en scène une paternité d’adoption avec dignité et pudeur dans leur nouveau film Le roman de Jim.

Une fois de plus les deux frères cinéastes montrent leur affect pour l’humain sans jamais se moquer, ni caricaturer et en rajouter dans les émotions de ses personnages.

LE ROMAN DE JIM d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, France, 2024,1h41. Avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Noée Abita, Sara Giraudeau

Après la compétition officielle au Festival de Cannes en 2005  avec Peindre ou faire l’amour, la Quinzaine des réalisateurs en 2008 avec Le voyage aux Pyrénées  les Séances de minuit en 2021 avec Tralala, les frères Larrieu reviennent à Cannes dans la sélection Cannes Première, avec une adaptation réussie du roman éponyme de Pierric Bailly. Pour une fois, le désir n’est pas au centre du nouveau film des frères Larrieu Le roman de Jim et il ne se déroule pas sur 3 jours – comme c’est le cas habituellement – mais sur 25 ans.

Le début du film prend le récit relativement en amont, et n’atteint que progressivement ce qui en est le sujet et le cœur : la tendre et intense relation d’amour qui se noue entre un enfant et « le beau-père » qui l’élève dès sa naissance.

Dans une petite ville, du Haut Jura, Saint Claude, Aymeric vivote sans plan de carrière, il est abonné aux petits boulots et il accepte la précarité de sa vie. Un soir, il retrouve une ancienne collègue de travail : Florence, enceinte de six mois et célibataire. Elle est libre, elle est simple. Florence et Aymeric entament une relation amoureuse complice. « Le père de l’enfant sera celui qui sera là au moment de la naissance », dit Florence à ses proches. Quand Jim naît, Aymeric est présent, et il reste. Il restera là pendant plus de sept ans. Il l’aime tellement, le petit Jim, que lorsque sa compagne parle de lui donner des frères et sœurs, il refuse. « J’aurais l’impression de le trahir » dit-il.

C’est donc presque par hasard qu’Aymeric va endosser le vrai rôle de « faux père » de Jim. Le destin lui propose ce lien et il le prend sans trop se poser de question. Jim ne porte pas son nom, mais Aymeric exerce sa paternité en dehors des liens du sang. Jim, en grandissant, nourrit une relation privilégiée avec « ce papa » qui l’adore et qu’il adore. Dès lors, ce que nous pourrions voir comme une imposture ou un mensonge se transforme en relation authentique. « Toi et moi, on est des aventuriers, on prend des risques », dit-il au petit garçon lors d’une promenade en forêt.

Quand Christophe, le père biologique de Jim, réapparait dix ans après son départ, l’existence d’Aymeric et de « son » fils va changer. Christophe se fait de plus en plus présent et Aymeric se sent trahi. De papa, Aymeric devient parrain, mais pour conserver un lien avec Jim, il va accepter cette situation : « C’est un peu passer en deuxième division », dit – il, résigné, amer mais digne, avant d’être éjecté quand Christophe, Florence et Jim vont s’exiler au Canada. Aymeric, ce père qui tout a donné au-delà du raisonnable, va souffrir, continuer à vivre et refaire sa vie. Mais des années plus tard, Jim, âgé de 23 ans, frappe à la porte d’Aymeric, qui vit désormais, heureux, avec Olivia.

On ne s’attendait pas à voir les Larrieu concocter un film aussi sentimental et mélodramatique. Si la fantaisie et l’humour sont toujours au rendez-vous, la tonalité générale du Roman de Jim  est mélancolique. Le film, avec pudeur, s’intéresse aux sentiments d’attachement, à la dépossession et à l’effacement d’un « anti-héros » qui est aussi par une voix off le narrateur de l’histoire.

Le film est construit autour d’une famille recomposée et des liens qui se créent, mais aussi de l’imposture. « Un mensonge originel », mais « pour le bien de tous, pour lui, pour nous, pour toi » comme le présente Florence à Aymeric. Doit-on dire la vérité ou la cacher au risque de tout gâcher ?

La question de la paternité revient régulièrement dans le cinéma des frères Larrieu. Et ce film magnifique et poignant nous interroge : qu’est-ce qu’un père ? Peut-on partager la paternité ? C’est cette question qui est au cœur du film. Elle est remarquablement posée par le petit garçon qui demande : « c’est qui alors mon papa ? ». Ici, il n’y a pas de doute sur l’identité du père ni sur sa fonction, mais plutôt sur le temps qui passe, la tristesse de la vie et l’obstination à continuer, coûte que coûte. Les êtres se perdent et se retrouvent, ainsi la séquence de retrouvailles pudiques entre Aymeric et Jim, où la notion de pardon devient essentielle et la réconciliation déchirante.

Chez les frères Larrieu, le paysage et la nature jouent un rôle central. Ponctuée de balades en forêt ou au bord d’un lac, la mise en scène est délicate et fluide. Il n’y a pas d’hystérie, pas de grandes phrases, pas de morceaux, pas de sentimentalisme, pas de jugement moral, pas de bravoure dans ce film. Le Roman de Jim montre les sentiments que par petites touches délicates et progressives, prélevées dans la réalité des rapports humains : les regards, les mots, les silences, les réactions… La caméra des frères Larrieu capte avec grâce et énergie les corps et les regards des personnages

La direction d’acteurs est un élément fort de ce film : tous sont pris par le phénomène de la résilience. Karim Leklou  est bouleversant d’humanité et de tendresse dans le rôle d’Aymeric. Il illumine le film et excelle de densité dans ce rôle où sa fragilité, sa délicatesse, son engagement et sa justesse inondent le cadre. Laetitia Dosch, alias Florence est une femme spontanée, aventureuse, optimiste, indépendante au caractère bien trempé et souvent déroutante dans ces décisions. Elle donne du relief à son personnage. Enfin, comme une étincelle de vie, Sara Giraudeau, Olivia, incarne une espérance possible, un recommencement.

Quelle que soit la direction que les frères Larrieu choisissent : anticipation (Les Derniers jours du monde), thriller (L’Amour est un crime parfait), comédie musicale (Tralala) ou aujourd’hui mélo – on constate qu’ils nous offrent avec un charme, une assurance désinvolte et une régularité remarquable de magnifiques films.

Philippe Cabrol

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