Login

Lost your password?
Don't have an account? Sign Up

L’Histoire de Souleymane

Analyse du film : L’Histoire de Souleymane

Nationalité : France ; Genre : Drame

Durée : 1h33min ; Date de sortie : 9 Octobre 2024

Réalisateur : Boris Lojkine

Acteurs principaux : Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow

Après Hope en 2014 et Camille en 2019, Boris Lojkine propose une nouvelle fiction sociale, au cœur des rues parisiennes.

Ce film met en scène la vie de Souleymane, un jeune guinéen sans papier, travaillant comme livreur de repas à vélo et se répétant son histoire, deux jours avant son entretien de demande d’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

La fiction prend, dans ses premiers mouvements, des allures de documentaire : filmage près du corps, caméra mobile qui montre Souleymane courir, pédaler, monter des escaliers à toute vitesse, courir derrière le bus social pour rentrer au foyer. Dans la course ininterrompue du jeune homme courageux et charismatique, tout entier à sa quête, le film donne à voir l’extrême densité d’une simple journée, du petit matin, où Souleymane compose déjà, comme ses camarades, le numéro lui permettant de réserver une place d’hébergement pour le soir-même. Tous les matins, il répète la même routine pour s’assurer de ne pas être à la rue. Et ce n’est que le début de ses journées menées au pas de course. Les journées de Souleymane sont chronométrées.

Les galères s’enchaînent évidemment avec des restaurateurs qui refusent d’aider Souleymane, des mises en danger sur la route et des clients très froids et mécontents. Cependant, quelques pépites d’humanité se nichent sur son chemin. Souleymane, c’est ce livreur qu’on croise quotidiennement et qu’on ignore. C’est cette personne qui, alors qu’elle mérite toute notre considération, est perpétuellement rejetée.

Dans l’une et l’autre course, il joue sa vie, l’une officieuse, l’autre future, possiblement légale. Avec le jour tant attendu, s’ouvre dans le film une autre temporalité tissée de calme, de silence, de concentration d’ailleurs. Après s’être exercé à rendre son récit crédible, la chargée de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides dit à Souleymane : « Vous pouvez encore tout changer et me dire vraiment votre récit. Pas celui faux, que j’ai entendu 50 fois avant vous. Dites-moi Souleymane, votre histoire ! »

La caméra est constamment rivée à Souleymane, nous entraîne ainsi dans un tempo haletant, rappelant le film À plein temps, dans lequel Éric Gravel filmait le désarroi d’une femme de chambre en pleine grève de la SNCF.

L’histoire de Souleymane n’est pas un mélodrame sociopolitique. C’est un témoignage ancré dans le réel de ces candidats aux papiers. L’enjeu du cinéaste est de témoigner de la galère quotidienne pour ces personnes qui déposent des dossiers de reconnaissance d’asile. Pour retranscrire leur quotidien de la manière la plus fidèle possible, le réalisateur et son équipe ont fait un énorme travail de terrain en amont. Ils se sont entretenus avec de nombreux livreurs guinéens et ont assisté à des entretiens de demande d’asile. L’acteur principal, Abou Sangare, a lui aussi quitté la Guinée, lorsqu’il n’avait que 15 ans, et est aujourd’hui toujours en attente d’un titre de séjour.

L’histoire de Souleymane est une quête d’identité. Le protagoniste a quitté sa vie, son épouse et sa mère malade pour leur offrir un meilleur avenir. Cette histoire, celle de Souleymane, est celle de milliers de femmes et d’hommes, candidats à l’asile politique en France ou ailleurs dans le monde. Tout est compliqué : se soigner, se loger, se reposer. Le chemin est d’autant plus rude qu’ils se sentent obligés d’inventer des récits politiques pour obtenir la demande d’asile.

Ce film est une œuvre dense, sincère, engagée et magnifique. Boris Lojkine s’arrache de la pure fiction sociale et la transcende par le caractère christique de son personnage, l’humanité qui l’illumine. Cette histoire, c’est celle de nombreux sans-papiers et spécifiquement celle, vraie, de son acteur principal, Abou Sangare, né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée, à qui la France vient de refuser sa régularisation.

A propos de son film, le réalisateur déclare : « C’est un film qui repose sur la tension, qu’on a essayé de faire maximale, c’est-à-dire que c’est un film social, mais que j’ai essayé d’écrire comme un thriller, sur une durée très courte (deux jours, 48 heures), et où le personnage est d’emblée pris dans une urgence, qui est en fait une double urgence… ».

« J’aime bien faire des films qui font pleurer les gens. Quand je vais au cinéma comme spectateur, j’aime bien soit rire aux éclats, soit pleurer vraiment : je n’ai pas envie d’être tiède, j’ai envie qu’on ressente des choses. Donc quand la lumière se rallume et que je vois les spectateurs pleurer, je me dis qu’on a réussi. Ce que je demande au spectateur, c’est de passer 1h30 dans les pas… enfin dans la vie de Souleymane, en empathie avec lui et qu’après, il se repose les questions qu’il se pose (sur les questions migratoires et autres) d’une autre manière, peut-être. »

Le film L’histoire de Souleymane a été présenté au Festival de Cannes 2024 : il a obtenu le Prix du Jury Un Certain Regard et Prix du meilleur acteur Un Certain Regard pour Abou Sangaré.

Philippe Cabrol

#analysedefilm #cinema #FestivaldeCannes2024

https://chretiensetcultures.fr