The Apprentice
Analyse du film : Le biopic « The Apprentice » sur Trump, a t il le pouvoir de perturber l’élection présidentielle ?
Sortie en salle le 9 octobre 2024 | 2h 00min | Drame
De Ali Abbasi | Par Gabriel Sherman
Avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova
En pleine campagne des élections américaines, qui auront lieu le 5 novembre prochain, « The Apprentice », le biopic sur la jeunesse de Donald Trump, réalisé par le cinéaste iranien Ali Abbasi, est projeté aux États-Unis (depuis le 11 octobre). Acclamé d’un côté et décrié de l’autre, le film peut-il avoir un impact significatif sur les élections ? Reportage :
Samedi soir, à la sortie du cinéma 123 de New York, la foule se déverse peu à peu dans les rues de l’Upper East Side, quartier à l’est de Central Park. Ce petit cinéma fait partie des cinémas Angelika, un groupe indépendant que l’on pourrait qualifier d’art et d’essai, et qui dispose de trois lieux à New York.
Le 123 est le seul à diffuser ce film. Angela et Darren, deux amis étudiants en littérature et philosophie à l’université de NYU sortent de la séance de 19h. Pour eux, le film est une réussite sans équivoque : « La performance des acteurs est incroyable, et le scénario hyper intéressant, on a appris plein de choses sur le New York des années 1980, où Trump a fait fortune.»
The Apprentice, qui démarre dans les années 1970, narre les jeunes années de Donald Trump en tant qu’agent immobilier, héritier d’un empire déjà considérable, qu’il va continuer d’agrandir avec l’aide de l’avocat Roy Cohn. Ce dernier, homosexuel refoulé et figure du maccarthysme des années 1950, avocat des pires escrocs de la mafia, va devenir le mentor de Trump, jusqu’à son décès du VIH-SIDA. Avide, sans pitié, adepte de méthodes frauduleuses pour construire son empire immobilier, le portrait brossé de la jeunesse de l’ancien président des États-Unis est sans concession.
Pire, on le voit même draguer lourdement puis violer sa femme Ivanka. Film sélectionné en Compétition officielle et acclamé à Cannes, la critique a particulièrement salué la performance de ses deux acteurs principaux, Sebastian Stan (Captain America), à contre-courant dans le rôle de Trump, dont il arrive à imiter les mimiques à la perfection, et Jeremy Strong (Succession) très à l’aise dans le rôle de Cohn, avocat véreux sur le déclin. Succès également populaire, il récolte depuis sa sortie mondiale 80% d’avis favorable sur Rotten Tomatoes.
Une distribution chaotique :
Si la sortie du film a bien eu lieu sur le territoire américain, elle ne s’est pas faite sans remous et ce, dès la présentation du film à Cannes. Dans un premier temps, c’est la société de production Kinematics, en partie détenue par le milliardaire pro-Trump Dan Snyder qui a souhaité se retirer du projet, après y avoir investi cinq millions de dollars, décriant le portrait peu-flatteur fait du candidat républicain. Ensuite, la deuxième difficulté aura été de trouver un distributeur, face aux avocats de Trump, prêts à attaquer en diffamation le film, d’après le New York Times.
Il aurait été demandé à Ali Abbasi de couper la scène de viol, et de supprimer celles où l’on voit Trump prendre des pilules amincissantes et réaliser plusieurs chirurgies esthétiques, ce que le réalisateur a refusé. Finalement, c’est le distributeur indépendant Tom Ortenberg, via sa société Briarcliff Entertainment – déjà derrière le succès du film Spotlight, à propos d’une grande enquête journalistique sur les abus sexuels de l’église catholique que personne ne voulait distribuer –, qui a acheté les droits. Mais malgré la prise en charge de la distribution par Tom Ortenberg, la sortie restait incertaine, et les producteurs ont lancé une campagne de crowdfunding sur Kickstater début septembre pour lever 100.000$.
L’objectif ? Sécuriser une viabilité financière ainsi qu’une distribution la plus large possible. « Nous ne pouvions pas compter sur toutes les grandes sociétés. Nous devions trouver un moyen viable de proposer ce film au public dans les délais impartis, et nous avions besoin d’une certaine liberté de mouvement dans le processus », ont expliqué les deux producteurs Amy Baer et Daniel Bakerman au Hollywood Reporter, qui ont choisi de lancer le Kickstarter en parallèle de la vente des droits de distribution à Briarcliff Entertainment. Un choix judicieux, puisque cette levée de fonds aura permis de rassembler plus de 400.000$.
Une bascule pour les élections ?
Un tel portrait au vitriol du candidat Trump, dans une élection qui se joue au coude-à coude dans les sondages, peut-il faire basculer l’élection ? Alexandra Schwartz, critique au magazine The New Yorker, nous explique : « Toute l’Amérique est déjà au courant des scandales sexuels, des agressions, des escroqueries financières de Trump, et il a quand même été élu en 2016. Cela ne va clairement pas dissuader ses supporters de voter pour lui. » Dans son podcast hebdomadaire Critics at large, où elle décrypte, avec Naomi Fry et Vinson Cunningham, une actualité culturelle de la semaine, elle dédie un épisode complet à la sortie du film.
Pour Angela et Darren, les étudiants new-yorkais, pas de quoi perturber leur vote non plus : « On votera Kamala Harris quoi qu’il arrive, et même si on aimerait que le film fasse changer d’avis du monde, on n’a malheureusement pas grand espoir que des électeurs indécis puissent basculer après avoir vu The Apprentice. » Dans un État, celui de New York, où la population a voté pour le candidat Biden à plus de 60% aux dernières élections, le film ne fait que conforter les spectateurs New-Yorkais.
Un public compliqué à trouver :
Dans un article du New York Times datant d’août dernier, Stephen Galloway, doyen de l’école de cinéma de l’Université Chapman, s’interrogeait déjà sur le public du film. « Je ne vois pas des électeurs républicains aller voir le film, tout comme j’ai du mal à imaginer pourquoi des démocrates paieraient vingt dollars pour visionner un film sur Trump. » C’est aussi le paradoxe que questionne Alexandra Schwartz : «Je suis très curieuse de qui va aller voir le film. Je ne voulais pas le voir moi-même. Trump est déjà partout sur la scène américaine, avais-je encore envie de le voir sur un écran pendant deux heures ?»
Le candidat a lui-même a formulé de nombreuses critiques pour dénoncer la sortie du film (« il s’agit d’une attaque bon marché, diffamatoire et politiquement dégoûtante, lancée juste avant l’élection présidentielle de 2024, pour tenter de nuire au plus grand mouvement politique de l’histoire de notre pays : « MAKE AMERICA GREAT AGAIN ! », lit-on sur un compte relayant les actualités autour du parti de Trump. Sur les réseaux sociaux, les internautes pro Trump ne sont pas non plus tendres avec le film : « Ces gens n’ont aucun respect et sont franchement déguelasses, ça va faire un flop ». Ou bien : « Encore la propagande, ignorez et maintenez le cap ». peut-on lire sur X (ex-Twitter). Alors que Donald Trump continue de représenter 46% des intentions de vote, selon les sondages du New York Times, sa cote de popularité ne semble jamais se détériorer auprès de ses ultras-fans. « Ce qui est fascinant avec les supporters de Trump, que l’on appelle les MAGA [pour Make America Great Again, ndlr], c’est que peu importe le nombre de scandales, de procès et de mensonges que Trump pourra accumuler, rien ne les fait questionner sa légitimité », commente Alexandra Schwartz. Pour la critique, le portrait de la jeunesse de Trump réalisé par The Apprentice propose même un regard plus humain que la réalité : « Je trouve que le jeune Trump dépeint dans le film est plutôt policé, on ressent à certain moment de la peine pour lui, de l’empathie, le film est loin de manquer de nuance. » Le box-office et surtout les résultats des élections éclaireront la portée réelle du film. LE FILM Après Les Nuits de Mashhad, thriller sur des féminicides survenus en Iran, Ali Abbasi change à nouveau de genre et s’attaque à un biopic relatant les premiers succès professionnels de Donald Trump dans le New York de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Le jeune entrepreneur (joué par Sebastian Stan, tout en regards en coin et duckfaces appuyés) commence son ascension dans le monde de l’immobilier, facilitée par sa relation intéressée avec l’avocat véreux Roy Cohn (Jeremy Strong, vu dans Succession), qui va devenir son mentor et remplacer la figure paternelle avec laquelle le futur président est en délicatesse. Au départ presque attachant par sa naïveté et sa timidité, le magnat Trump révèle ensuite sa voracité quand il applique enfin les leçons de Roy Cohn et se met à enfreindre des règles étatiques, judiciaires et économiques. L’animal politique que devient Donald Trump se double d’une figure monstrueuse – autant avec son frère, qu’il laisse mourir sans pitié, qu’avec son épouse, qu’il agresse sexuellement. En dépeignant la naissance d’un être vampirique qui détruit tout sur son passage en se donnant pourtant l’image d’un bâtisseur du rêve américain, The Apprentice met en garde contre les dangereuses répétitions de l’histoire des États-Unis, pays qui n’en a décidément pas fini avec ses démons.
Philippe Cabrol
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