La Plus précieuse des marchandises
Analyse du film : La plus précieuse des marchandises
Réalisateur : Michel Hazanavicius Avec les voix des acteurs : Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Grégory Gadebois, Denis Podalydès Genre : Animation / Drame historique
Nationalité : France / Belgique
Durée : 1h21
Sortie : 20 novembre 2024
« Il était une fois… » comme dans tous les contes, c’est ainsi que s’ouvre La plus précieuse des marchandises. Porté par la très belle voix de Jean-Louis Trintignant, le narrateur explique que personne ne peut croire au Petit Poucet car aucun parent n’abandonne ses enfants quand il n’y a plus de quoi manger. « Mais alors, pourquoi abandonne-t-on ses enfants ? Parfois, justement, car on les aime. C’est tout ».
Le livre de Grumberg est étudié dans les écoles, il a fait l’objet d’une adaptation au théâtre et maintenant au cinéma. Peu intéressé au départ par l’idée de faire un film sur la Shoah, lui qui s’y était toujours refusé en raison d’un passé familial trop lourd sur la question, Michel Hazanavicius s’est laissé entraîner dans l’aventure par la perspective de faire un conte allégorique. L’animation permet au cinéaste de contourner l’impératif moral de « l’infilmable », en reproduisant les images traumatiques de Nuit et brouillard.
Présenté au Festival de Cannes 2024 puis au Festival d’Annecy en séance ouverture, Michel Hazanavicius celui qui a passé une partie de sa carrière à jouer dans la parodie, qu’il s’agisse de faire revivre OSS 117 de rire du passage du muet au parlant The Artist de sa désopilante démystification de Godard dans Le Redoutable ou de faire d’un remake d’un film de zombies japonais une ode au cinéma avec Coupez a insufflé avec son non nouveau film de belles intentions humanistes, se plongeant pour la première fois dans le sujet de Shoah. Car la « petite marchandise » du film n’est autre qu’un bébé jeté hors d’un train, en direction d’un camp d’extermination. C’est une petite fille que va recueillir une bûcheronne et son mari.
Il était une fois une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron qui vivaient au fond d’une forêt polonaise. Pauvre bûcheronne se lamentait de ne pas avoir d’enfants. Il était une fois une famille juive, deux jumeaux nouveau-nés et leurs parents, qui se fit arrêter à Paris puis déporter vers le camp d’Auschwitz. Dans le train qui les emportait vers une mort certaine, le père fit un geste insensé. Dans un ultime et dérisoire espoir, il lança un de ses jumeaux hors du train. Un jour que pauvre bûcheronne regardait passer un train qu’elle croyait être de marchandises, un paquet en fut éjecté et tomba dans la neige. Comme un don du ciel, cette petite marchandise s’avéra être celle qu’elle attendait avec tant de ferveur : une enfant.
Ils n’ont peut-être pas grand- chose à donner, mais ils ont tout pour recevoir ce cadeau béni des dieux des « marchandises ». Ce bébé est ainsi le vecteur de résilience dont le monde a besoin pour guérir de ses peines, même les plus profondes.
Sur fond de Seconde Guerre mondiale, de déportation et d’horreur, le récit de Michel Hazanavicius prend de la distance par rapport à l’Histoire et se concentre sur la solidarité, l’entraide, et la résistance de cette famille de Justes.
La sobriété du regard du cinéaste laisse place à d’autant plus de puissance dégagée d’un film qui n’a de cesse de chercher la lumière dans les ténèbres, la chaleur dans le froid, l’humanité dans l’horreur, la vie dans la mort, le meilleur dans le pire.
Revendiquant des influences diverses, de la peinture russe du XIXe siècle aux premiers Disney, le cinéaste propose un graphisme à la fois sobre et élégant,
En racontant une histoire de la Shoah par le prisme du conte animé, Michel Hazanavicius propose un regard un peu nouveau sur le sujet. Du moins sur la forme, plus que sur un fond qui rejoint quantité d’autres histoires portées à l’écran par le passé. Le dessin aux traits épais inspirant un mélange entre les estampes japonaises, le fusain et la peinture du XIXeme siècle, confère encore plus de tendresse et de charme à une esthétique poétique mise au service d’une belle histoire.
Sous son apparence de petit conte se cache une histoire mature, pleine d’humanité, où brille une faible lumière au milieu des ténèbres de la Shoah. Au bout du chemin de croix, fait d’espoir et de courage, la voix de l’acteur Jean-Louis Trintignant : l’essentiel c’est l’amour, « tout le reste est silence ».
Dans un scénario dramatique, Michel Hazanavicius rappelle alors l’ignominie du drame des camps de la mort. L’écriture est pudique, le dessin est sobre Le film rappelle la bienveillance de ceux qui aident, le courage de ceux qui sauvent et l’amour, qui ne « passera jamais ».
Philippe Cabrol
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