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Vingt Dieux

Analyse du film : Vingt Dieux de Louise Courvoisier

Sortie le 11 décembre 2024 en salle | 1h 30min | Drame

Avec : Clément Faveau, Maïwène Barthelemy, Luna Garret

Ce film est une « épopée sentimentale et fromagère » (selon la définition qu’en donne son auteure !) et nous fait découvrir un fromage, tendre et salé, fruité, fleuri et robuste. De quel fromage est faite cette allusion ? Du comté, Bien sûr, quand il est bien fait.

Vingt Dieux, un premier film aussi charmant que fragile, présenté en avant-première au Festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard où il a reçu le Prix de la jeunesse, Prix Jean Vigo 2024, également été récompensé du Valois de Diamant et du Valois des étudiants au Festival du film francophone d’Angoulême, pourrait bien décrocher le césar du meilleur premier film.

Ce n’est pas le premier film qui parle du monde paysan et de la terre. De Petit paysan à La terre des hommes , les fictions et les documentaires sur le monde rural se sont multipliés. Mais Vingt Dieux est d’une autre tonalité.

Dans Vingt Dieux, Louise Courvoisier s’inspire donc du Jura et des visages de son enfance dans le petit village de Cressia, où elle a grandi, pour raconter l’épopée existentielle de Totone, jeune garçon exalté et bagarreur mais avec un cœur d’or. Totone et ses amis sont un peu, dit la cinéaste, ses « collègues » de village dont, constate-elle, la plupart ont arrêté tôt leurs études pour travailler avec leurs parents dans des exploitations agricoles. Cette façon de procéder donne au film un vibrant réalisme documentaire.

Vingt Dieux brosse un portrait tendre et malicieux de la jeunesse rurale jurassienne, dans un style naturaliste bienveillant qui évoque le cinéma humaniste de Ken Loach.

Ce récit initiatique, tourné dans le Jura dont la réalisatrice est originaire, dépeint les rêves et les désillusions d’une jeunesse rurale à travers la trajectoire de Totone , fils de fromager. Totone, 18 ans, passe le plus clair de son temps à boire des bières et écumer les bals du Jura avec sa bande de potes. Mais la réalité le rattrape avec la mort brutale de son père. Il doit s’occuper de sa petite sœur, Claire, de 7 ans et trouver un moyen de gagner sa vie. Le Jura étant la région du comté, Totonne se fait embaucher dans une fruitière, d’abord pour y faire le ménage et pour récupérer le lait auprès des éleveurs. Il fait la rencontre de Marie-Lise, jeune éleveuse dure à la tâche, à qui il n’est pas insensible. Licencié après s’être battu avec un collègue, Totone se met en tête de fabriquer lui-même son propre comté, dans l’espoir de le présenter au concours agricole et de remporter la médaille d’or, assortie d’un prix de 30 000 euros. Avec l’aide enthousiaste de Claire et de ses amis, il s’engage hardiment dans l’aventure, le regard fixé sur son objectif.

Louise Courvoisier parvient à sortir des sentiers battus, en épousant le rythme du monde agricole et du réel qu’elle cherche à capter, de la fabrication du fromage à un vêlage nocturne, en passant par la découverte de la sexualité. La cinéaste observe ses protagonistes avec une distance qui permet l’intimité et la pudeur. L’atout de ce premier film est de raconter la misère rurale sans verser dans le pathos. «Je voulais montrer les endroits plus rugueux, explique la réalisatrice, sans parler des conditions de vie des paysans, faire un portrait nuancé d’une jeunesse rurale qu’on a l’habitude de cacher. Même les gens de la campagne ne connaissent pas la vie des jeunes. Je viens d’un endroit où on s’éclate une bouteille sur la tête pour un oui ou un non. »

Le film a le mérite de mettre en avant la ruralité française et le talent historique des fromagers, avec un milieu professionnel très particulier et géographiquement localisé : l’exploitation laitière et la fabrication du comté dans le Jura. Fabriquer du fromage alors qu’on n’y connaît rien relève d’un travail physique. Louise Courvoisier prend le temps de filmer la coagulation du lait, le décaillage, le brassage, le moulage. La cinéaste alterne des séquences narratives, dramatiques et des moments quotidiens. L’image tournée en format scope offre une belle largeurs de plans, ce qui fait inévitablement pensé aux espaces des westerns, mais dans ce film c’est la terre des paysans avec les vaches, les meules de foin, les tracteurs…

La force de Vingt Dieux vient aussi de sa capacité à mettre en exergue une jeunesse différente, avec ses particularités, son accent et ses préoccupations, sans jugement, ni moquerie. Le film montre une réalité parfois dure, des épreuves de la vie, mais sans s’appesantir, préférant miser sur une forme d’optimisme.

Mais cette aventure fromagère est surtout celle d’une altérité découverte dans la plus pure simplicité, dans le partage de gestes inconnus qui s’acquièrent en regardant les autres. Totone apprend à reconnaître la qualité d’un bon lait, mais auprès d’une jeune agricultrice il va connaître l’amour physique. Derrière la quête impossible du comté parfait, Vingt Dieux propose une une communion des savoirs, au diapason de la nature.

Célébrant l’amitié et la solidarité, Vingt Dieux séduit par sa bonne humeur contagieuse et son énergie folle, insufflées par des personnages foncièrement attachants. C’est l’une des qualités de Vingt Dieux : la sincérité de la cinéaste, et la tendresse manifeste qu’elle éprouve pour ses personnages. Malgré le tragique de la situation, Louise Courvoisier maintient une perspective lumineuse. Certes, Totone et Claire vivent dans une grande précarité. Leur rapprochement apporte une forte émotion, produit un état de grâce et face aux difficultés, ils s’épaulent et tentent l’impossible. Le film se concentre sur la solidarité qui éclot entre eux et autour d’eux, les copains de Totone n’hésitant pas une seconde à l’aider.

Il n’ y a aucun misérabilisme dans ce récit initiatique résolument optimiste. De facture classique, Vingt Dieux repose en grande partie sur ses acteurs, tous non professionnels. C’est l’authenticité que recherche avant tout la cinéaste, qui filme avec affection les paysages de son enfance, leurs habitants et la pudeur émotionnelle qui les caractérise.

La notion de transmission et d’apprentissage est présente tout au long du film, Totone a tout à apprendre: à la mort de son son père (le film ne dit rien sur l’absence et de la mère et frère et sœur n’en parlent pas) à vivre avec sa petite sœur, à s’occuper d’elle, à se prendre en charge, à maîtriser la fabrication du comté qui se fait de façon documentaire. Pensons à la séquence avec «la gardienne de ce savoir ancien qui est la fabrication du comté, quand elle dit à Totone : «c’est un truc de vieux, celui-ci lui répond: «C’était le métier de mon père». C’est pour Totone apprendre un métier, mais aussi apprendre à vivre et à aimer.

Le deuil de Totone n’est pas présenté comme un effondrement, il verrouille ses émotions, même si la fragilité est présente. Il dit que tout va bien. Il sort du deuil par une activité manuelle, concrète, pratique. C’est à travers ce travail qu’il va retrouver de la valeur à ses propres yeux. La réalisatrice note qu’elle a trouvé intéressant de mettre en parallèle la maturité de son héros avec la maturation du comté.

Pas étonnant que cette « épopée sentimentale et fromagère » (selon la définition qu’en donne son auteure !) nous séduise, c’est un premier film vibrant, rempli d’humanité et de maturité, il est plein de sincérité, d’inventivité et d’humour.

Vingt dieux se révèle être un juron local…

Philippe Cabrol

#analysedefilms

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