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Mon gâteau préféré
Analyse du film : Mon gâteau préféré
Loin du drame ou du thriller métaphysique auquel il nous a habitués, voilà que le cinéma iranien, toujours aussi politique, réussit son tour du côté de la romance entre septuagénaires. Tout à la fois gracieux, délicat, tragique et cruel, Mon gâteau préféré est œuvre iranienne absolument courageuse.
Réalisateurs: Maryam Moghadam, Behtash Sanaeela
Distribution : Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani, Soraya Orang Genre : Comédie dramatique, Romance
Nationalité : France, Allemagne, Suède, Iran
Durée : 1h36
Sortie : 5 février 2025
Un taxi, c’est un endroit de passage. Un véhicule de transition, pour un déplacement transitoire. Dans le cinéma iranien, depuis Ten d’Abbas Kiarostami, il symbolise l’interstice dans lequel la nouveauté, la rencontre, la rébellion, s’immiscent. Pour Jafar Panahi dans Taxi Téhéran, il permettait d’ausculter la société « à la volée ». Dans Une femme iranienne de Negar Azarbayjani, il offrait une plongée dans les discriminations politiques, religieuses et sexuelles. Avec Mon gâteau préféré, le taxi iranien devient le lieu de la comédie romantique. C’est dans le taxi de Faramarz que débute son idylle avec Mahin. Si la voiture est sans doute le décor le plus utilisé de tout le cinéma d’auteur iranien contemporain, avait-on déjà assisté à un coup de foudre dans un taxi ?
Téhéran. Veuve depuis plusieurs années, Mahin, 70 ans, souffre énormément de solitude qu’elle traîne du matin au soir. Elle vit seule dans sa grande maison. Ses deux enfants sont partis vivre en Europe. Elle appelle en visio sa fille pour avoir des nouvelles, en particulier de ses petits-enfants. Elle soigne les plantes de son jardin, va faire ses courses, fait du tricot. La télévision lui apporte de la vie. En effet Mahin a gardé le goût des programmes télé sentimentaux et celui de se maquiller.
Sans se préoccuper des règles rigides imposées aux femmes dans son pays, elle part dans les rues de Téhéran en quête d’une rencontre. C’est au restaurant des retraités que la septuagénaire va trouver son bonheur : elle rencontre un ancien de l’armée devenu chauffeur de taxi, Faramarz, seul lui aussi et en quête de tendresse. Mahin saisit sa chance et lui demande s’il veut bien la ramener chez elle dans son taxi. Elle désire revivre une histoire d’amour.
Cette idylle amoureuse assez inattendue de deux personnes de 70 ans, solitaires et habitués à l’être, pourrait paraître anodine, si elle n’était située dans un pays où les plaisirs de la vie y sont en grande partie interdits. Mahin va devoir ruser et jouer de tous les stratagèmes pour concrétiser cette rencontre parce que, en Iran, il est strictement interdit pour une femme de recevoir un homme chez elle s’ils ne sont pas mariés. Or la voisine de Mahin est particulièrement curieuse…
Commence une longue soirée chez Mahin, premier interdit qui en annonce d’autres. Après une première partie qui offre quelques scènes d’extérieur, en réalité de nombreuses séquences dans un taxi, nous assistons à un long huis clos dans la maison de Mahin. Ce couple de seniors ravive le goût de la fête dans l’appartement de Mahin, en buvant et en dansant sur des chansons du bon vieux temps. Homme idéal et bon bricoleur, Faramarz va résoudre un problème de branchement électrique tout symbolique. Il s’agit bien de rallumer les lumières de la vie et de l’Iran. Mais l’obscurité comme l’obscurantisme persistent…
« L’histoire du film est celle d’une femme qui vit seule et tente d’être indépendante dans une société traditionnelle. Mahin ne peut que s’inquiéter des orientations et des menaces d’un modèle de société religieux et misogyne », ont raconté les deux cinéastes, Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha.
Mon gâteau préféré est une ode aux femmes, il revendique leur droit à vivre heureuses et libres. Les cinéastes choisissent une femme qui ne veut pas vivre seule et un homme qui ne veut pas mourir seul. Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha ont voulu montrer le quotidien des femmes de la classe moyenne en Iran. Il leur a fallu trois ans de travail pour dénoncer la mainmise de la République islamique sur la situation des femmes. .
Même si le long métrage a été écrit et tourné avant l’éclosion du mouvement révolutionnaire Femme, Vie, Liberté, le scénario n’élude pas la violence qui veut que les femmes voient leur moindre geste scruté et souvent puni. Présente surtout en arrière- plan, cette violence prend plusieurs visages, allant du gag (une voisine trop curieuse qui sonne quand il ne faut pas) à la métaphore (la route jusqu’à l’hôtel nommé Liberté est plus longue qu’avant). Les réalisateurs montrent le contraste entre la chape de plomb qui existe à l’extérieur et cet espace de liberté que constitue l’intérieur de votre appartement.
Mon gâteau préféré égratigne donc l’Iran. Avec ce nouveau long-métrage, les cinéastes poursuivent leur peinture de la société iranienne prise dans le joug du pouvoir religieux. A travers ce film, c’est toute la société iranienne que peignent les deux réalisateurs. Ce film montre comment les lois liberticides d’un pouvoir religieux autoritaire pèsent sur la société, biaisent son fonctionnement et empoisonnent profondément la vie de ses citoyens.
Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha s’étaient fait remarquer il y a trois ans, en compétition à la Berlinale, avec leur précédent film Le pardon. Malgré son succès en Iran, ce drame au discours anti-peine de mort fut rapidement banni des écrans, et les deux cinéastes assignés en justice. Alors même qu’ils ont tourné ce nouveau film intégralement en secret, film sélectionné en compétition à la Berlinale 2024 où il reçut le prix du jury œcuménique, le film a déclenché la colère des autorités iraniennes. Elles ont confisqué leurs passeports aux deux réalisateurs, comme bien des cinéastes iraniens dissidents avant eux, et les ont empêchés de faire le voyage en Allemagne. Lors de la conférence de presse à la Berlinale, leurs sièges furent symboliquement laissés inoccupés aux côtés des interprètes du film.
Film tendre, drôle, poignant et audacieux, Mon gâteau préféré courageuse célèbre la liberté, la joie et l’amour, dans un pays qui les interdit. » Dans ce pénible contexte, nous persistons à essayer de représenter la réalité de la société iranienne dans nos films. Une réalité qui est plus souvent perdue ou obscurcie par des couches de censure », ont-ils écrit dans une lettre adressée au festival de Berlin.
Philippe Cabrol