
A real pain
Analyse du film : A REAL PAIN
Comédie dramatique écrite et réalisée par Jesse Eisenberg/ États-Unis/2023/1H30.
Sortie en france le 26 février 2025.
Avec : Jesse Eisenberg, Kieran Culkin, Will Sharpe et Jennifer Grey.
A Real Pain prend la forme d’un buddy movie en mettant en scène les retrouvailles de deux cousins éloignés en quête de reconnexion entre eux et avec leurs racines.
Benji et David sont deux cousins d’une famille juive américaine. Suite à la mort de leur grand- mère, rescapée du camp de Majdanek, près de Lublin, ils décident de partir ensemble en Pologne pour effectuer un voyage de la mémoire. Pour faire ce pèlerinage, ils ont fait appel à une entreprise qui propose des circuits dans les différents lieux de mémoire de l’Holocauste en Pologne. Avec un petit groupe hétéroclite : un couple de retraités américains, une femme fraîchement divorcée et un Rwandais converti au judaïsme, David et Benji entament ce voyage avec James un universitaire spécialiste de la Shoah, guide plein de bonne volonté qui abreuve son auditoire de sa science. Benji et David prévoient cependant de quitter le groupe l’avant-dernier jour, afin de se rendre à la maison d’enfance de leur grand –mère.
Ces deux cousins ont deux caractères diamétralement opposés. David est anxieux, bien élevé, mal à l’aise dans les relations sociales, mettant une distance respectueuse entre les personnes, mais en apparence solidement installé dans sa vie familiale et professionnelle. Névrotique et obsessionnel à la Woody Allen, David s’enferme dans le silence sans partager ses peurs et son mal-être.
Benji est plein de contradictions, dépressif, extraverti, plein de charme, d’une sincérité dérangeante et totalement incontrôlable dans certaines situations. Cependant ce clown extraverti empli d’une douce folie charme tout le monde par sa spontanéité, tout en cachant un mal-être profond et indicible.
Les deux cousins ont été très proches dans l’enfance, puis la vie les a éloignés. Leurs retrouvailles et cette quête mémorielle sur les traces de leur judéité font remonter les vieilles querelles, les malentendus, les tensions, les non-dits de l’histoire familiale.
A Real Pain commence par un plan séquence dans une salle d’attente d’aéroport, où au milieu de la foule, la caméra finit par s’arrêter sur Benji, regardant tranquillement autour de lui. S’affiche alors le titre du film, à la gauche du visage de cet homme, et on commence déjà à comprendre le double sens. Car sous cette « vraie douleur » (« a real pain ») de la perte d’une grand- mère survivante des camps de concentration, et derrière la façade clownesque se cache un hypersensible, incapable de gérer le mal qu’il garde en lui («une douleur réelle») et qui peut à tout moment se révéler pénible («un vrai boulet »)
En choisissant la forme du Buddy Movie, genre cinématographique mettant en scène deux protagonistes aux antipodes et se déployant dans un registre plutôt comique, le réalisateur propose une approche inédite de ce chapitre sombre de l’histoire. Derrière les apparences de légèreté, le film aborde la question de la mémoire et plus particulièrement des traumatismes trans- générationnels.
Dans ce film, il est en réalité question d’un double devoir de mémoire. De Varsovie jusqu’à Lublin, les héros cherchent autant à comprendre leur histoire familiale que l’Histoire avec un grand H. Pour y arriver, ils parcourent des lieux pour s’y recueillir, ils vont à la rencontre d’enfants de survivants des camps de concentration… À d’autres moments, ils se replongent aussi dans leur enfance
Mais face aux traumatismes trans-générationnels (l’identité juive, la Shoah et ses cicatrices), les façades illusoires de leur existence insouciante se fissurent peu à peu. Comment les réparer ? Le film propose une piste de réflexion : comprendre le présent à l’aune du passé ne suffit pas à résoudre la crise identitaire, ni à guérir le mal-être qu’elle engendre. De cette impuissance, nourrie d’incertitudes, naît une mélancolie à la portée universelle.
Qu’il s’agisse d’une scène de guerre improvisée devant un monument aux morts ou d’un malaise provoqué par le fait de voyager en train pour se rendre dans un camp de concentration, l’auteur émerveille par sa capacité à faire jaillir, de la confrontation entre la farce et la souffrance, des réflexions sur les visions divergentes du monde.
Le film s’intéresse aussi à la manière dont sont exploités les lieux de mémoire, notamment en Pologne. Lors d’une visite de l’ancien quartier juif de Lublin, une série de plans fixes révèle le cimetière englouti qu’est devenue la ville polonaise. Un ancien théâtre yiddish, un magasin de textile, une yechiva : ces lieux autrefois habités par l’une des plus grandes communautés juives de Pologne sont aujourd’hui détruits et remplacés par de banales habitations et restaurants. De même la séquence de la visite du camp de concentration de Majdanek est poignante.
Avec son deuxième long métrage, deux après When You Finish Saving the World (inédit en salle en France projeté au Festival de Cannes), A Real Pain, Jesse Eisenberg signe une tragi-comédie introspective, puisant dans l’histoire de sa famille d’origine polonaise. Celui qui s’est fait connaître comme acteur dans The Social Network de David Fincher en 2010 a beaucoup voyagé en Pologne ces dernières années. Son film commémore ainsi les victimes de la Shoah, tout en explorant à la fois ce qui le lie à ses ancêtres et ce qui l’aliène de leur passé tragique.
Le film a été tourné en Pologne, dans les décors réels. Le réalisateur a même décroché l’autorisation de filmer une séquence dans le site de l’ancien camp de Majdanek, proche de Lublin. La réalisation est rythmée par le répertoire quasi complet des compositions de Chopin pour le piano.
Jesse Eisenberg signe un film bien tenu par la finesse de son scénario à la fois tendre, ludique et touchant, mais surtout profond et sincère. A ce duo amusant, Eisenberg lui associe un visage dramatique qui s’incarne par exemple dans leur voyage introspectif, dans la thématique du mal-être et de la dépression ou dans une et du quartier juif polonais de Lublin. Au centre de tout cela, Jesse Eisenberg réfléchit de manière existentielle sur les liens que l’on entretient avec notre passé, nos racines. A Real Pain est une exploration mémorielle
Philippe Cabrol
#analysesdefilms