
Mexico 86
Analyse du film : MEXICO 86
Réalisateur : César Díaz
Nationalité : Belgique-France-Mexique
Distribution : Bérénice Bejo, Matheo Labbe, Leonardo Ortizgris
Durée : 1h33 mn
Sortie : 23 avril 2025
Déjà remarqué avec Nuestras Madres, Caméra d’Or au Festival de Cannes en 2019, César Díaz revient sur l’histoire récente du Guatemala. Dans Mexico 86, présenté au Festival de Locarno en 2024, le cinéaste belgo-guatémaltèque emprunte au chapitre de la guerre civile qui a dévasté son pays natal pendant trente-six ans, pour la conjuguer à son histoire personnelle.
Le film s’ouvre sur la brisure d’une double relation. Entre Maria et son compagnon, que les services secrets assassinent devant le domicile familial. Entre Maria et son bébé. Cette activiste opposée à la dictature militaire guatémaltèque doit s’exiler sur-le-champ au Mexique pour échapper au régime, laissant derrière elle son nouveau-né Marco, qu’elle confie à sa mère. Multipliant les identités pour assurer sa sécurité, elle garde occasionnellement le contact avec ce fils qui grandit loin d’elle, tel un étranger. Dix ans plus tard, en 1986, la mère de Maria, malade, lui annonce qu’elle ne pourra plus s’occuper de l’enfant. Marco viendra vivre de mauvaise grâce avec Maria, qui se retrouve face à un choix auquel elle n’est pas prête : poursuivre la réalisation de ses idéaux de justice ou garder son fils auprès d’elle, quitte à le mettre en danger de mort et à braver les consignes de son organisation, qui exige que les enfants des militants soient envoyés dans une « ruche » à Cuba. Devenue correctrice de presse, alors que le Mexique s’apprête à accueillir la Coupe du monde de football, Maria est en outre soumise aux pressions du chef de la guérilla, qui la somme d’obtenir la divulgation dans son journal des exactions meurtrières commises par l’État guatémaltèque.
Peut-on concilier la lutte clandestine avec la maternité ? Est-on une meilleure mère en restant auprès de son fils ou en construisant un monde différent pour lui ? Comment une mère et un fils, séparés dès la petite enfance, peuvent-ils renouer une relation, au-delà d’une simple entente ? Autant de questionnements qui déchirent l’héroïne, qui se bat pour un fragile équilibre de vie et dont l’opiniâtreté masque la vulnérabilité. Écartelée entre son devoir maternel et le combat de sa vie, Maria est prisonnière d’un insurmontable dilemme. Les motivations de sa personnalité complexe, qui s’éclaircissent au fil du récit, interrogent notre conception de la parentalité. César Díaz le souligne : « Dans l’imaginaire collectif, un père qui part à la lutte est un héros, une mère qui fait la même chose est irresponsable. »
Le point de vue de Maria demeure au cœur du film. La performance de l’actrice qui l’incarne, Bérénice Bejo, dont les parents ont rejoint la France pour fuir la dictature militaire en Argentine, s’apprécie aussi à l’aune de ce parallélisme familial. Mexico 86 conjugue suspense et tendresse, navigant entre les séquences de films d’espionnage, qu’exacerbent les pulsations de la bande-son, et les scènes émouvantes des conversations entre la mère et son fils, lovés dans leurs cachettes successives.
Dédiant Mexico 86 à sa mère, César Díaz ausculte le combat difficile des activistes qui se vouent à un engagement total, au détriment de leur vie familiale. « Faire ce film, c’était se confronter à la lutte armée menée par ma mère et au fait qu’elle soit mère. Les militants consacrent leur vie à la transformation de la société, mais ils n’ont souvent pas la possibilité de remplir leur rôle de parents. », remarque le réalisateur.
Mexico 86 est un film-maelstrom aux motifs entrelacés : révolte contre les régimes dictatoriaux, sacrifice d’une vie en vue d’un idéal, maturation accélérée d’un enfant dans un monde d’adultes exilés, relation d’une mère à son fils. Le réalisateur y autopsie l’histoire du Guatemala et poursuit, contre l’oubli, le travail de mémoire de toute une nation. À la croisée du drame intime et des combats des années 1970-80 pour la justice et la démocratie en Amérique latine, César Díaz apporte sa pierre à la reconstruction de son pays, dans un thriller politique vigoureux et sensible.
Anne-Cécile Antoni
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