
De grandes espérances
Analyse du film : De grandes espérances
Réalisateur : Sylvain Desclous
Genre : drame Nationalité : française
Distribution : Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot Durée : 1h45 mn Sortie : 22 mars 2023
Une intrigue savamment bâtie explorant les rouages politiques, des dialogues soignés, deux personnages qui portent toute la structure du film, notamment en représentant deux visions antagonistes de la politique française contemporaine: ainsi est construit De grandes espérances, le troisième film de Sylvain Desclous. Si ce titre fait penser à une adaptation du livre de Charles Dickens, il n’en est rien. Mais pourtant il parle de grandes espérances.
Madeleine et Antoine ont un bel avenir devant eux, un avenir plein d’espoir et d’ambition. Dans une magnifique villa en Corse, louée par le père d’Antoine, Madeleine, boursière, et Antoine révisent le grand oral de l’ENA. Lors d’un dîner la jeune fille secoue les invités par ses propos directs et enflammés en affichant ses idées progressistes, notamment de faire «bouger les choses» dans le domaine entrepreneurial. Ce discours plaît bien à Gabrielle Dervaz, brillante députée socialiste.
Mais, le lendemain, Antoine déclenche sur une route déserte une altercation avec un autochtone. Le ton monte, l’homme devient menaçant, et pour sauver son fiancé, Madeleine empoigne une arme et tire.
Si Antoine, fils d’un grands bourgeois égoïste et déplaisant, est faible et lâche, Madeleine est pure, exaltée, écologiste et féministe, sincère et enthousiaste. Elle est charismatique et convaincue lorsqu’elle défend ses idées, fragile et bouleversante lorsqu’elle se libère du poids de la culpabilité, ferme et résolue face à Antoine.
Le réalisateur indique dans la revue de presse que c’est sa monteuse qui lui a suggéré ce titre pour son film, même titre que l’ouvrage de Dickens. Sylvain Desclous a trouvé que ce titre résumait en effet beaucoup de choses du film. «Les grandes espérances ce sont celles que Madeleine place en ses idées politiques et le parcours qu’elle se construit. Celles que beaucoup de gens placent en Madeleine. Ce sont enfin celles que nous plaçons tous en une politique qui puisse nous faire accéder à un monde plus juste, plus équitable et plus fraternel», précise-t-il.
Beaucoup de thématiques s’entrecroisent dans ce film : le poids de l’héritage familial, la conquête du pouvoir, l’ambition féminine en politique, la lutte des classes (que le père d’Antoine fera bien remarquer à Madeleine), les difficultés à être un transfuge d’une classe vers une autre, l’idéalisme politique face aux concessions, le rapport entre les vices et les vertus de la politique, le drame policier, le combat social et la trahison d’une une relation sentimentale, la lâcheté de l’être humain…
Mais aussi de nombreuses questions parcourent ce film: Comment gérer le sentiment de culpabilité et la crainte que le terrible secret de Madeleine et d’Antoine soit un jour découvert et n’anéantisse leurs espoirs d’une vie d’engagement politique ? Madeleine ne désirant pas que son acte criminel compromette son avenir, devra-t-elle adopter certains codes? Peut-on changer le monde lorsque l’on cache un tel secret ? La noblesse d’une cause justifie-t-elle les moyens mis en œuvre pour que celle-ci triomphe ? Madeleine, qui a tué un homme, deviendra redoutable dans le mensonge: Où se situe la morale?
Si Madeleine et Gabrielle sont très présentes et impliquées dans cette œuvre, les femmes, en tant que mères, sont absentes. Il n’y a que les pères: le riche bourgeois et l’ouvrier. Les personnages des pères fonctionnent en miroir l’un de l’autre. Celui d’Antoine, cynique et fort de sa réputation, protège son fils et méprise les faibles. Celui de Madeleine, père démissionnaire, épaule sa fille avec son besoin de justice de classe. Il va regagner l’estime et l’amour de sa fille en se portant à son secours.
Pour Sylvain Desclous, on peut entendre dans ce drame politique un chant d’espérance, une profession de foi en faveur de la jeune génération et de son engagement politique. «Le film peut être aussi vu comme la naissance d’une femme politique, et pourquoi pas d’une prochaine présidente. J’ai eu comme objectif, dans toute la démarche de fabrication du film, de toucher, de bousculer, tout en proposant un récit qui rejoigne des thématiques qui me semblent centrales: quelle place occupe- t-on dans la société? Comment en changer? Comment composer avec son milieu social d’origine? Comment avancer sans se renier?» «…C’est pourquoi j’ai tenu absolument à ce que Madeleine soit une authentique militante politique, un personnage fervent, qui…injecterait dans le film de la lumière et de l’espoir. Madeleine n’est pas carriériste et assoiffée de pouvoir: c’est un cœur pur». N’est-ce pas Madeleine qui incarne le mieux dans ce film de grandes espérances en désirant abattre les barrières sociales, combattre les inégalités, défendre ce qu’elle croit juste,…?
Entremêlant film policier, récit d’ambition, politique, histoire d’amour et de lâcheté, secrets et mensonges, la grande qualité de ce long-métrage s’exprime par le choix de reposer quasi-intégralement sur ses personnages. Avec De grandes espérances, Sylvain Desclous a réalisé un long-métrage efficace, haletant et bien mené. Le film est construit comme une tragédie grecque autour de la trahison et du poids du passé.
Philippe Cabrol