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Les Feuilles mortes (Kuolleet lehdet)

Présentation du film : Les Feuilles mortes (Kuolleet lehdet)

Réalisateur : Aki Kaurismäki ;
Genre : drame ;
Nationalité : Finlande ;
Distribution : Janne Hyytiäinen, Jussi Vatanen, Sakari Kuosmanen, Alma Pöysti ;
Durée : 1h21 mn
Sortie : 20 septembre 2023
Un magnifique film. A voir absolument.
À l’approche de l’automne, Les Feuilles mortes, du finlandais Aki Kaurismäki, viennent déposer sur nos écrans une délicate pellicule d’amour et de poésie, sur fond de drame social.
«C’est une chanson qui nous ressemble, toi tu m’aimais, et je t’aimais. Nous vivions tous les deux ensembles, Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais. Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, Tout doucement, sans faire de bruit. Et la mer efface sur le sable, les pas des amants désunis» (Extrait des Feuilles Mortes, chanson d’Yves Montand, paroles de Jacques Prévert). Avec ces paroles, Aki Kaurismäki a trouvé une mélancolie qui lui ressemble. On avait quitté Aki Kaurismäki en 2011 au Havre. On le retrouve à Helsinki, sa ville fétiche, filmée en mode rétro.
Les Feuilles Mortes, c’est tout le cinéma d’Aki Kaurismakï qui se rappelle à notre bon souvenir. Un cinéma taiseux, un cinéma poétique, un cinéma mélancolique, un cinéma à l’humour laconique, un cinéma de la tendresse douce-amère. Il y est question d’âmes esseulées tentant d’évoluer dans un milieu hostile. Dans ce film deux solitaires qui se rencontrent au détour d’un bar à Helsinki. Holappa est ouvrier précaire sur des chantiers, il compose avec son alcoolisme Ansa va de petit boulot en petit boulot dans des supermarchés et des bars. Entre la blonde Ansa et le taciturne Holappa, tout commence par un regard d’une magnifique pureté, dans un bar karaoké. Mais c’est surtout dans une salle de cinéma que leur vraie rencontre aura lieu devant l’affiche de Brève rencontre de David Lean. Ils s’attirent, se perdent à cause d’un bout de papier envolé, se retrouvent, se reperdent.
En quarante ans de carrière et une vingtaine de films remplis de chaleureuse mélancolie, de cadrages millimétrés et de critiques des injustices économiques, Aki Kaurismäki a su créer un style cinématographique reconnaissable entre mille. Mais plutôt que de se reposer sur ses acquis et sur la seule nostalgie, le cinéaste – de retour six ans après L’Autre côté de l’espoir –nous offre avec Les Feuilles mortes un long métrage à la toile de fond très contemporaine, faisant dès le départ entendre des flashs radiophoniques qui relatent l’actuelle guerre en Ukraine dont on sait qu’elle préoccupe particulièrement la Finlande qui possède plus de 1000 kilomètres de frontière avec la Russie.
Comment peut-on expliquer qu’il ne faut guère plus de 2 minutes pour deviner qu’on est devant un film d’ Aki Kaurismäki ? Tout d’abord, il y a l’image, celle, très caractéristique, du directeur de la photographie Timo Salminen qui travaille auprès de Kaurismäki depuis 40 ans.Il y a des plans magnifiques, au cadrage millimétré, souvent dans des atmosphères nocturnes où viennent se mettre en avant des couleurs « vintage » nous rappelant le cinéma des années 60, et le bleu et le rouge, les couleurs de prédilection de Kaurismäki . Ensuite, il y a la dégaine des interprètes, et encore les décors sobres et épurés la mise en scène dépouillée, son minimalisme chaleureux, son humour-politesse-du-désespoir. Et son inquiétude pour ses semblables. Se dégagent des personnages et des situations une poésie du quotidien.
Chez Kaurismäki, il y a presque toujours une approche sociale . Dans ce film qui clôture sa trilogie du prolétariat, elle est bien particulièrement présente. Toutefois, cette approche est très différente de celle d’un Ken Loach, plus feutrée, moins frontale, plus proche, finalement, de celle de Charlie Chaplin. C’est surtout l’empathie qu’il a pour ses héros prolétariens que l’on ressent
Le réalisateur nous offre des pépites comiques et euphémiques dans Les Feuilles mortes : quand les deux héros sortent d’un cinéma projetant The dead don’t die, film de zombies de Jim Jarmusch, qu’un spectateur juge, aussitôt, très proche de Journal d’un curé de campagne  de Robert Bresson. Ce à quoi un autre spectateur lui répond : « Moi, c’est plutôt à Bande à part de Godard » Il en fait autant avec les clins d’œil cinéphiles, de l’affiche de Rocco et ses frères  de Luchino Visconti à l’usage spécial et charmant du patronyme de Charlie Chaplin… Pour ses personnages éprouvés, le cinéma est un abri, fût-il quelque peu déserté, un lieu où se retrouver, dans tous les sens de l’expression. Symétriquement, Aki Kaurismäki offre à ses spectateurs un merveilleux refuge.
Les références au cinéma de Bresson, Demy ou encore d’ Ozu se sentent à travers le long-métrage. Kaurismäki est fortement inspiré par le cinéma de Charlie Chaplin. À la manière du cinéma de ce dernier, il développe une ambiance magique pleine de tendresse, d’amour et de douce mélancolie. 
A propos de Les feuilles mortes, Aki Kaurismäki dit «mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité: le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. Je tire au passage mon trop petit chapeau à Bresson, Ozu, et Chaplin, mes divinités domestiques. ».
Les Feuilles mortes est une œuvre foisonnante d’idées, bouillonnante de passion pour le cinéma et d’amour pour l’humain. Un petit bijou cinématographique ! Dans la période bien noire que nous traversons, on a vraiment besoin de réalisateurs comme Aki Kaurismäki, de son humanisme, de son humour. Certes, son cinéma n’est pas tout rose, il est même parfois franchement noir, mais il se dégage tellement d’empathie pour les personnages que, film après film, on arrive à voir, in fine, une belle lumière s’échapper de l’obscurité.
Ce film a obtenu le Prix du jury au Festival de Cannes 2023.
Philippe Cabrol
https://www.youtube.com/watch?v=_N4881tGoEo
 
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