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Barbie

Analyse du film : Barbie

Décrit comme l’un des films les plus attendus de 2023, Barbie est venu s’inscrire dans les plus grands succès annuels au box-office mondial en seulement quelques jours. Loin d’être un récit pour enfant, le film de Greta Gerwig ouvre-t-il une vraie réflexion politique et sociétale au ton humoristique ?

La plus célèbre poupée du monde « débarque » sur les écrans. Il y a plusieurs mois déjà, quelques images teasées, « une louche » de marketing viral et beaucoup de rumeurs ont accompagnées ce film. «  Barbie et Ken vont arpenter le monde réel ». En décembre 2022, un premier teaser : dans un décor de désert des origines, un groupe de petites filles jouent et jettent soudain leurs poupées à la vue d’une Barbie géante en maillot, descendant du ciel sur l’air d’Ainsi parlait Zarathoustra façon monolithe kubrickien. Le générique du film commence ainsi, éblouissante référence au film de Kubrick 2001, l’odyssée de l’espace. Le 4 avril 2023 l’artillerie lourde du marketing se met en marche : première bande annonce, farandole de posters avec onze Barbie différentes et cinq Ken, aperçu de de la bascule entre deux mondes, Barbie au volant de son iconique Chevrolet Corvette 1956 rose,…Avant sa sortie sur les écrans en juillet 2023, ce film devenait générationnel, Barbie étant un idéal universel. Greta Gerwig, la réalisatrice, parlait d’ « une énergie Barbie » qu’elle définit comme « une combinaison ineffable de beauté et d’exubérance ». Apparaît dès avril une tendance « Barbiecore » sur les réseaux sociaux : le rose, le plastique, l’esprit girly,…, l’importance de sa distribution avec Margot Robbie et Ryan Gosling en tête d’affiche et une galaxie de « semi-icones » de la génération Z dans les seconds rôles.

Avec Barbie, satire teintée de rose, un film pop et futé qui vend bien sa poupée, Greta Gerwig dynamite l’image ringarde et stéréotypée de la célèbre poupée, dans une production drôle et inventive, et surtout efficace en placement de produits Mattel. « C’est malin et taquin ».

Qui aurait imaginé que Greta Gerwig, connue pour ses rôles dans des films indépendants américains, et avec un premier film « coming of age » Lady Bird (2017, 10 millions de dollars de budget), puis l’adaptation de l’œuvre littéraire Les filles du docteur March (2019, 40 millions de budget) soit aux commandes de ce blockbuster à 100 millions de dollars (le succès du film, qui a généré  155 millions de dollars de recettes durant le week-end de sa sortie aux États-Unis, réalisant ainsi le meilleur lancement de l’année 2023) qui a mis toutes les chances de son côté pour ratisser le maximum de spectateurs. En effet, l’icône mondiale des rayons jouets, est l’héroïne d’une opération de « rebranding » sans précédent. Où il s’agit de dynamiter l’image ringarde de la fameuse poupée, en la transformant en pimpante amazone de l’émancipation féminine.

Le film Barbie combine deux axes avec une inégale réussite : la reproduction à taille humaine de l’univers matériel de Barbie et de Ken et un récit initiatique d’empowerment et de déconstruction anti-viriliste.

Le film nous présente « Barbieland », présidé par une femme, un monde parallèle au nôtre, sorte d’utopie plastique visuellement inventive. Les Barbie (oui, elles ont toutes le même nom, mais chacune a une couleur de peau, des cheveux et un métier différent) règnent sur un paradis d’accessoires en toc… Mais aussi sur une bande de Ken bronzés, idiots et soumis. L’un d’entre eux suit « notre Barbie vedette » lorsqu’elle s’échappe dans le monde réel, où il découvre, les délices du patriarcat.

Parce que Greta Gerwig n’a jamais caché le caractère politisé de ses productions, Barbie est moins l’histoire d’une poupée en plastique que celle de l’ascension d’une femme vers la connaissance et une prise de conscience des failles du monde qui l’entoure. Au départ, enfermée dans sa vie en rose, Barbie est cantonnée à ce que l’entreprise Mattel lui projette. Elle n’a aucune conscience du vrai monde. C’est lors d’une odyssée vers notre réalité, vers la lumière de la connaissance, qu’elle entamera un processus de déconstruction « des diktats » qui l’entourent pour donner à Barbieland plus d’égalitarisme.

Barbie et Ken incarnent, respectivement, l’allégorie du patriarcat et du matriarcat poussées à l’extrême. En se basant sur notre société moderne et en inversant les rôles, Greta Gerwig, réalise une critique du système patriarcal. Dans un premier temps, Barbieland est orchestré par des Barbie décisionnaires, propriétaires. Notons l’absence d’enfants dans ce Barbieland, seule une poupée enceinte y vit et elle n’est plus commercialisée. En second plan, on note aussi la présence des Ken, hommes-trophées dotés d’une plastique de rêve totalement opposée à leur intelligence. Ils sont « juste Ken » (cf l’inscription sur le pull d’un Ken). Par la suite, la tendance s’inverse avec la découverte du patriarcat dans le vrai monde. Dès lors, Barbie est renvoyée à sa condition de femme alors que Ken pousse le narcissisme en remodelant le monde à son image.

La première partie du scénario renvoie à cette idée ordinairement sexiste qu’une femme ne peut exister sans un homme, ou ici, qu’un homme ne peut exister sans une femme. C’est alors que le film prend une tournure inclusive et égalitaire en démontrant qu’en 2023, il est enfin temps pour Ken et Barbie d’être indépendants et complémentaires.

C’est surtout un film haut en couleur et d’une richesse visuelle exceptionnelle, tant au niveau des décors, qu’au niveau des costumes directement inspirés du catalogue de l’univers Barbie : couleurs et formes à la mode des années 1960 ou 1980.

Ce film est aussi basé sur d’innombrables références cinématographiques et culturelles. Comme la scène d’ouverture du film est (très) directement inspirée du travail de Stanley Kubrick et de son 2001, l’odyssée de l’espace  (1968), Madame de (1953) de Max Ophuls. Ces films, avec leurs thèmes profonds et leur esthétique visuelle distincte, ont joué un rôle crucial dans la formation de la vision de Gerwig pour Barbie. D’autres influences notables incluent The Truman Show (1998) de Peter Weir et The Wizard of Oz (1939)de Victor Fleming. Ces films, avec leur mélange d’artifice et de réalité, ont contribué à créer l’univers de Barbie, à la fois réel et fantastique. D’autres scènes viennent s’inspirer, de manière directe ou plus subtile, d’autres grands classiques du 7e art. On note alors une référence au Parrain (1972), à La fièvre du samedi soir (1977), avec la scène de danse, La main au collet (1955)d’Hitchcock ou encore à Matrix  (1999),  lorsque Barbie doit choisir entre deux chaussures pour décider de son destin, à l’image des pilules rouge et bleue proposées à Néo, ainsi qu’aux épopées fordiennes…

La première Barbie a été commercialisée par l’entreprise Mattel en 1959 : elle est la création de Ruth Handler. Rapidement, Barbie a remporté un succès retentissant auprès des filles américaines, puis du monde entier – plus d’un milliard de poupées vendues à ce jour –, la physionomie adulte de la poupée rompant avec les traditionnels poupons jusque-là proposés aux enfants.

Barbie a dès le départ été critiquée pour son apparence, car elle incarne tous les stéréotypes de la beauté dite « occidentale » (peau claire, cheveux blonds…) et se distinguait au départ des autres poupées par ses mensurations hypertrophiées, notamment sa poitrine développée et sa taille trop fine.

Néanmoins, elle fut aussi rapidement présentée comme une « femme émancipée », propriétaire de sa propre « maison de rêve » et d’une voiture de luxe assortie à ses tenues (une Corvette Stingray 1956 rose dans le film), exerçant aussi bien des métiers considérés comme « féminins » – top-modèle, hôtesse de l’air, baby-sitter… –, que d’autres dits « masculins » – chirurgienne, conductrice de train, astronaute…

La réalisatrice Greta Gerwig et Mattel introduisent d’ailleurs le film en martelant l’argument-clef de la franchise : Barbie can be anything ! Barbie réussit ainsi à concilier une apparence très féminine où le rose, couleur du féminin par excellence est omniprésent, tout en offrant aux filles la possibilité de se projeter dans une diversité de professions qu’elles pourraient exercer une fois adultes.

Barbie est alors devenue un objet de débats sur la conception et la perception de la féminité, opposant les personnes qui l’estiment sexiste à celles qui la trouvent féministe. Cela ne l’a pas empêchée de devenir une icône populaire inspirant des maisons de couture ou des artistes, qui l’encensent ou la critiquent

L’argument « féministe » du film repose sur l’empowerment des Barbie, capables d’occuper n’importe quel poste sans renoncer à leur féminité, à la mode, au maquillage ou au rose et contrer les critiques qui verraient en Barbie un modèle stéréotypé de féminité. Conciliant la féminité avec des compétences d’ordinaire associées au masculin, Barbie serait donc une alliée possible du féminisme. Toutefois, Mattel réaffirme aussi sans cesse la féminité de sa poupée.

Pour la sociologue anglaise, spécialiste des questions de genre  Shelley Budgeon, considérer la féminité comme une source de pouvoir fait partie de la rhétorique post-féministe, sur laquelle s’appuie de toute évidence le film.

Phénomène médiatique et culturel plus que mouvement militant, le post-féminisme est incarné par la « troisième vague féministe » des années 1990, prônant l’autonomie individuelle des femmes et la conciliation entre féminité et pouvoir.  

Mais Barbie ne doit-elle pas « faire avec » le patriarcat, condamnée à son destin de femme : lorsqu’elle décide de devenir humaine, le fantôme de sa créatrice Ruth Handler lui fait entrevoir une vie faite d’enfants, de mariages et de femmes enceintes. Si Barbie peut être qui elle veut, ce n’est donc qu’à condition de remplir ses rôles de femme : employée modèle, mais aussi épouse, mère et maîtresse de maison.

Après une première partie truffée de références aux modèles de Barbie dénonçant les biais sexistes du jouet comme ceux produits par Mattel, la seconde se veut pédagogique. Barbie prend ainsi conscience des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.

Les Barbie parviennent en effet à sauver leur royaume non pas en combattant le patriarcat, mais en usant de la séduction, de l’empathie et de la résilience.

Barbie est la représentation même de l’American Way of Life et au fur et à mesure des années, elle s’émancipe des stéréotypes et devient une poupée capable de tout faire. Elle peut être astronaute, physicienne, vétérinaire ou enseignante et sert de symbole féministe grâce à ses multiples professions.

Mais derrière ce jouet qui vend aux petites filles un tas de rêves se cache un idéal féminin non-atteignable, qui a longtemps été critiqué. En 1961, un autre personnage rejoint l’équation. Il porte le nom de Ken, et est inspiré par le fils de Ruth Handler Kenneth. Sa plastique est à l’image de celle de son homologue féminine, parfaite et blonde.

En clair, Barbie coche toutes les cases d’un blockbuster de qualité. Il s’agit d’un divertissement, agrémenté d’un « zeste » politique. Avec ce projet, Greta Gerwig démontre que son « Barbie can be anything » (Barbie peut tout être) : une comédie, un drame, un film musical, un divertissement, un vecteur d’idées politiques et sociales. Ce qui fait le succès de Barbie, n’est-ce pas la rencontre entre la critique et le comique ? Greta Gerwig réussit à démontrer qu’il est possible de parler d’égalité, de capitalisme ou encore des injonctions à la beauté, en faisant appel à la satire et à l’humour.

Le film ne s’inscrit-il pas aussi dans une campagne de femvertising? Contraction des termes « feminism » et « advertising » ce terme renvoie à la réappropriation de concepts (empowerment, diversité…) et de figures féministes pour améliorer une image de marque et/ou conquérir une nouvelle clientèle.

Pourquoi le film Barbie dérange ?

À Bahreïn, le prédicateur musulman au million d’abonnés sur Instagram, Hassan Al-Husseini, a dénoncé une « révolution contre le mariage et la maternité » ainsi que des hommes « sans virilité ». Critiquant aussi la participation d’une actrice transgenre, il a exhorté les autorités à mettre fin à la projection du film

Algérie. Le film Barbie a été retiré des salles de cinéma en Algérie rejoignant ainsi une liste de plus en plus longue de pays qui, malgré le succès de la superproduction de l’été, ont interdit le film en raison de ses thèmes liés au genre et à la sexualité ou de l’utilisation présumée d’une carte géographique controversée.

 Le ministère algérien de la Culture et des Arts a demandé aux cinémas des villes d’Alger, d’Oran et de Constantine, de retirer « immédiatement » le film. Avant son interdiction, Barbie avait fait salle comble dans les cinémas algériens tous les jours depuis sa sortie le 19 juillet

Koweït. Jeudi 10 août, les autorités koweïtiennes ont annoncé qu’elles interdisaient le film parce qu’il véhiculait « des idées et des croyances étrangères à la société koweïtienne et à l’ordre public »,

Vietnam. Avant la première du film, les autorités vietnamiennes ont annoncé qu’elles interdisaient Barbie à cause d’une scène montrant une carte qui semblait illustrer les revendications territoriales de la Chine dans la mer de Chine méridionale. Les studios Warner Bros ont contesté cette affirmation, décrivant le dessin comme « enfantin ».

On ignore encore combien d’autres pays pourraient interdire ce film à succès. La première de Barbie est prévue au Liban le 31 août, mais certains responsables ont déclaré qu’ils pourraient suivre l’exemple d’autres pays du Moyen-Orient et interdire le film dans les salles de cinéma. Le ministre libanais de la Culture, Mohammad Mortada, a demandé au ministère de l’Intérieur d’interdire Barbie parce qu’il estime que le film contredit « les valeurs de la foi et de la morale  Mohammed Mortada a également déclaré que Barbie remettait en question la nécessité du mariage et ridiculisait le rôle des mères, selon le New York Times.

Le film Barbie a failli être interdit aux Philippines. À la suite de la décision du Vietnam de ne pas diffuser le film, les autorités philippines ont lancé un examen du long-métrage qui a duré une semaine et qui a comporté deux séances d’examen et des débats entre plusieurs ministères, Le conseil a décidé que la carte incluse dans le film « ne représentait pas la ligne en neuf traits », un terme utilisé pour décrire les revendications contestées de la Chine sur la mer de Chine méridionale, mais « l’itinéraire du voyage imaginaire de Barbie ». Dans sa déclaration, la commission a rappelé qu’elle avait déjà sanctionné des réalisateurs et des distributeurs pour avoir présenté la ligne en neuf traits dans leurs films.

Au total, le film Barbie a dépassé le milliard de dollars de recettes (1,19 milliard de dollars) dans le monde entier depuis sa sortie en salles à la mi-juillet. Aux États-Unis, Barbie a rapporté plus de 526 millions de dollars, ce qui en fait le deuxième film le plus rentable de l’année, derrière Super Mario Bros.

Barbie a dominé le box-office américain depuis sa sortie en juillet et occupe la première place du box-office.

Philippe Cabrol

https://chretiensetcultures.fr