Linda veut du poulet
Analyse du film d’animation : LINDA VEUT DU POULET !
Le titre de ce premier long métrage d’animation annonce l’espièglerie du récit. Toute la dynamique de l’intrigue dépend de la reconstituions d’ un plat de poulet aux poivrons.
Non, ce n’est pas Linda qui a pris la bague de sa mère Paulette ! Cette punition est parfaitement injuste !…
Et maintenant Paulette ferait tout pour se faire pardonner, même un poulet aux poivrons, elle qui ne sait pas cuisiner. Mais comment trouver un poulet un jour de grève générale ?…
De poulailler en camion de pastèques, de flicaille zélée en routier allergique, de mémé en inondation, d’une sœur colérique dont le yoga ne semble pas l’apaiser, d’ une armée de bambins particulièrement excités. Paulette et sa fille partiront en quête du poulet, entraînant toute la « bande à Linda » et finalement tout le quartier.
Mais Linda ne sait pas que ce poulet, jadis si bien cuisiné par son père, est la clef de son souvenir perdu… Au fait, quelqu’un sait tuer un poulet ?…
Chaque personnage est représenté par une couleur unique. La couleur de Linda est jaune Sa mère est orange, sa tante est rose et cela donne une unité familiale, en restant dans la même famille de couleurs. Assez naturellement, les policiers sont bleus…La grand-mère est violette.
Le mauve est pour Annette, vert pour Carmen, rose pour Astrid, rouge pour Afia.
Linda veut du poulet ! est un film drôle et tendre, à destination de toute la famille. Un film qui parle de l’enfance comme un enfant le ferait, sans mièvrerie, sans emphase, avec moquerie, insolence et poésie.
Dans ce film, il n’y a pas de mondes fantastiques : l’histoire se passe aujourd’hui, dans une petite cité ordinaire, un jour de grève générale. Il n’y a pas de sorcier, pas de grande quête pour sauver le monde, et la seule créature volante n’est qu’un… poulet !
Ce poulet est un MacGuffin derrière lequel on court. Il est l’occasion pour une mère et sa fille de se retrouver en faisant le deuil du père, décédé il y a plusieurs années lorsque Linda avait tout juste 1 an. Cette mort a laissé un vide entre Linda et Paulette, la trajectoire du film est de le combler.
Loin d’être une histoire de mort, c’est donc surtout une histoire de vie. La narration se dirige progressivement vers le collectif : Paulette et Linda entraînent avec elles de plus en plus de monde. On passe d’un deux-pièces-cuisine au parvis d’une cité, d’une famille monoparentale à tous les habitants du quartier.
Cette cité plutôt paisible est un espace un terrain de jeu ou de liens sociaux. Sa population adulte, plutôt modeste, est celle qui est touchée par la crise, celle qui part manifester en ville contre la vie chère, celle qui doit laisser les enfants seuls à la maison l’espace de quelques heures.
De par sa configuration, la cité est également l’agora au sein de laquelle la rébellion peut s’exprimer contre les forces de l’ordre.
Pure comédie, le film est aussi le portrait d’une enfance écorchée, entre les blessures qui ne guérissent jamais et les rêveries encore autorisées par le jeune âge. A travers cette quête du poulet, les personnages passent par plusieurs états : le choc, le déni, la colère, le désespoir, la tristesse et puis l’acceptation.
Linda veut du poulet ! est un hymne à la liberté, à la révolte, au désordre. C’est un film qui disjoncte, avec un sens aigu de l’absurde et du burlesque, empruntant des sentiers multiples, passant du sérieux au merveilleux, avec un humour parfois teinté de mélancolie, pour parler à cette enfance enfouie en chacun de nous. Drôle et trépidant, Linda veut du poulet est aussi un manifeste joyeux et libertaire du droit au bonheur, mais aussi un film très touchant sur le deuil, sur la fraternité des petites gens.
Le poulet, dans une autre acceptation, plus politique, c’est aussi le policier que l’on désarme ou ce cortège de policiers expulsés par les enfants qui se lancent dans une révolution joyeuse et ludique, au sein de leur cité HLM un jour de grève.
On pourrait se croire chez Jacques Tati ou dans une tribu entre Pennac et Prévert, un peu louftingue, composée d’un chauffeur routier allergique et de sa vieille maman, d’un flic pas vraiment à cheval sur le respect dû à l’uniforme, d’une tante censément revêche lestée de bonbons gélatineux, d’un ado vaguement grunge sorti de sa ferme, d’une armada de mômes déchaînés… qui n’aura de cesse que la volaille soit enfin passée à la casserole.
Cet incroyable dessin animé, aussi virevoltant que tendre et bouleversant, a tellement emballé le Festival de Cannes et le Festival d’Annecy qu’il est durablement resté dans la tête et dans le cœur, qu’il a durablement ensoleillé nos vies.
Philippe Cabrol