Universal theory
Analyse du film : Universal theory de Timm Kröger
Multivers, LSD, nazis, mathématiques: voilà ce qui entoure Universal Theory. Récompensé du Grand Prix Nouveau Genre du meilleur film lors de la dernière édition de l’Etrange Festival Universal Theory a également été primé à la Mostra de Venise où il a obtenu le Bisato d’Or décerné par la critique indépendante.
Au début des années 70, Johannes est le centre de la moquerie d’ un présentateur sur un plateau télé, alors qu’il s’exprime sur son livre, La Théorie du tout, défendant l’existence de mondes parallèles. En 1962, lors d’un congrès de physique dans les Alpes suisses, il avait déjà commencé à étayer cette théorie, sur l’existence de mondes parallèles. Mais personne n’y croit, pas même son tuteur. Or d’étranges phénomènes se sont pourtant alors produits : l’observation d’une curieuse formation nuageuse dans le ciel, des disparitions d’hommes dans les montagnes, retrouvés le crâne ouvert, et surtout la présence de Karin, une jeune pianiste de l’hôtel, qui l’obsède et semble tout savoir de lui… Le réel semble bien fragile en ce lieu…
Universal Theory nous raconte comment Johannes devient peu à peu le fantôme de sa propre histoire, tandis que sa théorie ésotérique des mondes parallèles ne semble pas aussi réfutable qu’il n’y paraît
Alors que la science-fiction s’accompagne généralement des derniers progrès technologiques et de bonds vers le futur, ce n’est pas ce que nous propose Universal Theory. Le film s’inspire de l’ouvrage The Theory of Everything du physicien américain Hugh Everett, écrit en 1956 et de la théorie au cœur-même de ce récit. Cette théorie est une interprétation de la mécanique quantique à l’origine du concept des mondes multiples (multivers). Cette idée a posé une réflexion tant scientifique que philosophique à l’existence de mondes parallèles où pourraient exister des réalités alternatives, d’une manière similaire à l’expérience de pensée du Chat de Schrödinger, où le chat est à la fois vivant et mort.
En 1848, Edgar Allan Poe a écrit un poème en prose dans lequel il imaginait l’existence d’une « succession illimitée d’univers ». Mais le concept de multivers a vraiment pris de l’ampleur lorsque les théories scientifiques modernes ont théorisé l’existence d’autres univers dans lesquels les événements auraient lieu, et ce en dehors de notre réalité. Le concept de multivers est présent dans la fiction depuis les années 50. Néanmoins ce n’est que depuis une vingtaine d’années qu’il a fait son chemin au cinéma. Le cinéma ne se lasse pas d’explorer ces questions. Que ce soit au travers de blockbusters de super-héros tels que Doctor Stange in the multiverse of Madness ou des films indépendants comme Everything Everywhere All at Once.
On ne sait jamais vraiment où on va dans Universal Theory, un film noir teinté d’onirisme, où la forme l’emporte clairement sur le fond. L’intrigue avance dans une ambiguïté qui distord l’espace et le temps, révélant ainsi différentes facettes de la condition humaine à travers Johannes, cet héros mélancolique qui s’embarrasse constamment de questions existentielles. De plus, Timm Kröger prend le temps d’installer une atmosphère et laisse le mystère et l’étrange prendre de plus en plus de place. Où nous situons nous entre rêve et cauchemar ?
Universal Theory, dont le scénario redoutablement intelligent, se double rapidement d’une quête amoureuse, est un film obscur et radical, avec un magnifique noir et blanc L’atmosphère presque expressionniste du film noir, avec une musique tonitruante instaure un climat propice à l’irruption du fantastique. Les images situent le film dans l’époque de son récit et nous renvoie aux films de genre des années 60, il restitue ainsi un cinéma du passé , en scope noir et blanc et sur pellicule. Certains critiques parlent d’univers à la Lynch (celui de Eraserhead). On peut aussi déceler d’autres influences, littéraires ou cinématographiques, notamment les thrillers des années 50/60 , des films de guerre froide (et leur fascination pour les phénomènes liés à l’atome) des œuvres sur le passé nazi de l’Allemagne, ainsi que l’univers d’En quatrième vitesse d’Aldrich ou encore les jeux de genre des frères Coen dans The Barber. Et l’histoire n’est-elle pas une variation audacieuse de Vertigo ( Sueurs froides) d’Alfred Hitchcock?
Philippe Cabrol