
The Brutalist
Analyse du film : The brutalist
Réalisateur : Brady Corbet.
Scénaristes : Brady Corbet & Mona Fastvold.
Interprétation : Adrien Brody, Felicity Jones, Guy Pearce, Joe Aylwin, Stacey Martin, Alessandro Nivola, …
Genre : Drame.
Date de sortie : 12 février 2025.
Durée : 3h37.
Pays : États-Unis.
Si The Brutalist n’est que le premier film de Brady Corbet à trouver le chemin des salles françaises, il s’est forgé en dix ans une petite réputation de cinéaste ambitieux et provocateur avec L’Enfance d’un chef puis Vox Lux, présentés tous deux à la Mostra de Venise.
Chaleureusement accueilli et récompensé du Lion d’Argent du meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, le film prouve sa valeur dès la première apparition, de son personnage principal, Adrien Brody, excellent dans la continuité de son rôle dans Le Pianiste. Brady Corbet renoue avec la tradition des grandes fresques historiques écorchant le rêve américain (on pense aux Portes du paradis de Michael Cimino, The Immigrant de James Gray et bien d’autres).
Fuyant l’Europe d’après-guerre, l’architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il forme avec sa femme Erzsébet, que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre empêchent de venir en Amérique (durant la première partie du film). Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où le fortuné industriel Harrison Lee Van Buren reconnaît son talent de bâtisseur.
Le film se déploie selon un plan architectural et musical, une ouverture( 1947) et un épilogue (1980) encadrant les deux grandes parties du film. La structure est chronologique et la trame narrative est toujours centrée sur László. Dès la scène d’introduction incroyable, on sent que l’on va assister à quelque chose d’unique, de rare et de mémorable, bien aidé par la musique imposante et extraordinaire de Daniel Blumberg. En effet, l’ouverture, qui dépeint l’arrivée de Toth aux États-Unis, montre l’architecte se réveiller à bord d’un navire plongé dans la pénombre, puis fendre une foule en plan-séquence. L’avancée de la caméra induit une longue montée en puissance, et en musique, vers le pont du bateau. On voit alors, la statue de la Liberté à l’envers, avant de la filmer renversée – la flamme à gauche et son socle à droite, comme si elle avait chuté de son écrin de Liberty Island. Ce coup d’éclat assez démonstratif ne veut-il pas montrer le rêve américain comme un mauvais songe ?
C’est seulement au bout d’ une heure pour que Toth voie enfin sa chance, une heure durant laquelle ses premiers pas en tant qu’Américain sont dépeints comme un périple de la grisaille, triste et ordinaire, entre les amitiés tissées dans la file d’attente pour la soupe populaire, les brimades racistes encaissées sans mot dire, les travaux manuels pour subsister, les démarches administratives complexes pour faire venir son épouse, Erzsébet, toujours bloquée en Europe, et puis l’alcool et l’héroïne pour atténuer la douleur et dissiper les nuages de la dépression.
L’entracte constitue une sorte d’apothéose. Il se compose d’une simple photo et d’un décompte – celui nous séparant du deuxième acte, mais aussi des retrouvailles entre László et Erzsébet.
L’arrivée tant attendue de sa femme Erzsébeth et de sa nièce est le point de bascule du film. Elles détestent tant cette nouvelle vie que leur rejet va pointer du doigt les failles du système , fondé sur le capitalisme et le libéralisme. La brutalité de ce système n’est pas étrangère au titre du film, tout comme la définition architecturale qu’on peut lui donner. De même le titre du film désigne le personnage de Van Buren, qui confie à László la réalisation d’un « ensemble pharaonique ». Mégalomane, pingre et raciste, il humilie les personnes, notamment Gordon, un ami afro-américain de László et sa perversité psychologique et sexuelle se dévoile petit à petit.
L’architecture brutaliste est en résonance physique avec l’état psychologique de la société des années 50. En effet, The Brutalist se contracte sur le capitalisme dévorateur en explorant la relation trouble entre Toth et Van Buren, notamment la séance du viol. Le viol n’est pas ici la manifestation d’un désir imposé à l’autre mais d’une aspiration à contrôler et humilier. Van Buren viole Toth parce qu’il veut lui montrer qu’il le possède, ni plus ni moins.
The Brutalist parle du parcours d’un homme et de son métier (celui d’architecte). Mais The Brutalist ne se réduit pas à un film sur l’architecture. Il met l’accent sur la créativité, la création, le talent. On peut dire que l’architecture est liée au traumatisme de l’après-guerre et donc de l’humain. Le génocide n’est pas explicitement montré mais il se lit sur le visage de László Toth, tourmenté, torturé par le traumatisme. Et quand il arrive aux Amériques et que la Statue de la Liberté se montre enfin, c’est un regard plein d’espoir qui l’illumine. The Brutalist montre l’ Histoire et de la manière dont l’Amérique s’est créée. On dénote les notions de capitalisme, de racisme, de lutte des classes et d’art ainsi que tous les maux d’un pays fantasmé et bercé sous le fameux « American Dream ». Le film comporte plusieurs thèmes : le rapport des immigrés à l’ Amérique, le destin des survivants des camps nazis, la relation entre l’architecte et son commanditaire, la façade chrétienne d’une Amérique qui cache que le véritable objet de son culte est le dieu de la richesse.
Divisé en deux parties, le film consolide graduellement son propos quant au rapport complexe et toxique qu’entretiennent le capitalisme et l’imaginaire, le commerce et l’art.
La mise en scène de Corbet en impose, notamment dans la maîtrise impeccable des outils du cinématographe. Le jeune cinéaste enchaîne les plans marquants et ambitieux avec d’autres plus minimalistes et délicats. Signalons les séquences extraordinaires en Italie, à Carrare qui mêle le sordide et le sublime, la drogue et l’agression, le sublime de la carrière (où s’approvisionnait Michel-Ange) à ciel ouvert qui apparaît d’abord comme un paysage lunaire, une Métropolis minérale, la déambulation du vieillard (réincarnation du Michel-Ange de Kontchalovski) Adrien Brody qui nous rejoue un rôle aussi notable que celui qu’il incarnait pour Roman Polanski il y a vingt-cinq ans dans Le Pianiste (oscarisé plusieurs fois), émeut beaucoup par la manière dont ses gestes et les oscillations de son visage.
Lors de sa première à a Mostra 2024, The Brutalist fut présenté comme l’anti-Megalopolis ou plutôt ce que Megalopolis aurait dû être selon la presse américaine, qui n’aime rien de plus qu’un bon récit bien bâti.
Voilà une œuvre monstrueuse dans tous les sens du terme. Le genre de film qui sort de tous les carcans du cinéma habituel. Pointue mais accessible, extrêmement ambitieuse mais maîtrisée, incroyablement épique mais intimiste à la fois, la fresque monumentale de The Brutalist ne ressemble à rien de connu . Elle demeure passionnante et foisonnante dans ce qu’elle raconte en tant que miroir la manière dont s’est faite l’Amérique,
The Brutalist a coûté à peine dix millions de dollars mais paraît en avoir coûté dix fois plus (pensons à Francis Ford Coppola et son Mégalopolis qui en a coûté 120).
Dans la même veine que le film There will be blood de Paul Thomas Anderson,cette chronique pharaonique sur le parcours de cet architecte hongrois sorti des camps de concentration est un long-métrage mémorable qui se révèle aussi puissant qu’intemporel.
Ni film musée, ni film-somme, The Brutalist est presque à la hauteur des ambitions de son auteur, mais reste malgré tout la création d’un artiste qui se cherche encore un peu.
Qu’est ce que le mouvement architectural brutaliste ? Architecte de talent, et personnage de fiction ancré dans l’Histoire, n’est pas un modèle unique. La mention du Bauhaus, foyer progressiste fermé par les nazis en 1933, est présente dans le film. László Toth a étudié au Bauhaus, affilié au mouvement architectural brutaliste, un style plus lourd et expressif, fait principalement de béton et parfois de brique. Tandis que le Bauhaus met l’accent sur la fonction et la simplicité, le brutalisme valorise l’expression et les matériaux bruts avec une absence d’ornements. Un style d’architecture pour mieux conter une époque et mettre en avant les mentalités de cette même époque. Pour imager le Brutalisme, on peut évoquer l’une de ses premières manifestations avec certaines créations de Le Corbusier. Pensons à l’architecture montrée dans le film, l’éloge du béton par László, son obsession des proportions, l’ église au centre du complexe ; la prise en compte du site et du trajet du soleil créant une croix de lumière à diverses heures de la journée : tout cela évoque les œuvres de Le Corbusier, notamment la chapelle Notre Dame du Haut à Ronchamp et le couvent de la Tourette à Evreux. Bien qu’imaginaire, ce que László vit aux États-Unis s’apparente pour les scénaristes à ce que d’autres artistes majeurs du mouvement brutaliste, tels que Louis Kahn et Ludwig Mies Van der Rohe, et plus particulièrement Marcel Breuer, né en Hongrie et à qui on doit le Whitney à New York (désormais appelé le Met Breuer), ont pu vivre.
TOPO sur l’utilisation de l’IA dans ce film :
Le film de Brady Corbet est au cœur d’une controverse. En cause, l’utilisation d’un logiciel de synthèse vocale pour parfaire les accents hongrois des comédiens. Dans un long article publié sur RedShark, site consacré au travail sur l’image, le monteur du film, Dávid Jancsó, a expliqué que de l’intelligence artificielle avait été utilisée pour parfaire les accents hongrois Adrien Brody et de Felicity Jones, qui joue son épouse.
L’usage de l’IA a engendré de nombreux commentaire sur les réseaux sociaux, où des internautes ont exprimé leur déception. Avec, en substance, une réflexion sur la performance réelle des acteurs, et le remplacement de talents humains par les machines… Le bad buzz est tel que Brady Corbet a communiqué officiellement auprès de Deadline, en assurant que l’IA n’avait été utilisée qu’au montage et qu’en aucun cas les performances d’Adrien Brody et de Felicity Jones n’avaient été altérées. Le réalisateur s’est aussi exprimé sur la polémique concernant une scène de fin, dans laquelle la carrière de l’architecte est présentée sous forme de dessins et de vidéos, soupçonnés d’avoir également été créés par IA. « Tout a été dessiné à la main par des artistes. Dans la vidéo mémorielle, notre équipe de montage a créé des images dans le but de donner l’impression qu’elles ont été désignées dans les années 80. »
L’usage de l’IA et ces procédés numériques dénaturent-ils le caractère artisanal du film, entièrement tourné sur pellicule ? Ces retouches, dans un but de véracité, affaiblissent-elles réellement les performances époustouflantes du casting ? Autant de réflexions qui ne sont qu’au début d’une nouvelle ère.
Philippe Cabrol
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