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Simon de la montaña

Analyse du film : SIMON DE LA MONTAÑA

Avec Simón de la montaña, le cinéaste argentin Federico Luis nous offre un film original, fascinant et déconcertant qui questionne les notions de normalité et d’identité.

Grand Prix de la Semaine de la critique au Festival de Cannes en 2024, ce long-métrage suit un jeune garçon qui intègre un groupe de personnes en situation de handicap.

Simón de la montaña de Federico Luis. Argentine/Chili/Uruguay,1h38.

Sortie en France le 23 avril 2025.

Avec : Lorenzo Ferro, Kiara Supini, Pehuen Pedie

Simón a 21 ans et vit en Argentine. Depuis peu, il fréquente une nouvelle bande d’amis en situation d’handicap. Simón est quelqu’un qui cache bien son jeu.

Le film s’ouvre au milieu des montagnes de la Cordillère des Andes. On y découvre Simon, adolescent mystérieux accompagné d’un groupe de jeunes neuro atypiques. On comprend vite que Simon ne fait pas tout à fait partie de cette bande et semble l’avoir intégrée presque par hasard peu de temps avant l’histoire que retrace le film. Ces adolescents et jeunes adultes (la plupart des acteurs de ce long métrage sont en situation de handicap cognitif) semblent laissés à leur propre compte. Ils sont engloutis par la brume et un vent assourdissant. Malgré leurs difficultés motrices, ils tentent de se rejoindre, au pied d’une statue du Christ, sans réseau téléphonique pour obtenir la moindre aide. Simón se hisse à la hauteur du corps du Christ pour atteindre un signal.

Le groupe est sauvé. Sur le chemin du retour de la montagne, le sonotone qu’une jeune fille offre, dans le bus, à Simon, devient très vite l’objet emblématique du film. L’appareil auditif lui permet d’accéder aux autres. Il ne remplit pas ici une fonction médicale mais joue un rôle de médiateur, il devient l’objet qui tisse le lien de Simón avec le groupe. Plus qu’entendre l’autre, Simón veut entendre  « comme l’autre » et « mal entendre comme l’autre ». Bien que lui-même ne soit pas en situation de handicap, son objectif est d’intégrer le groupe dont font partie Pehuén, son nouvel ami, et Kiara.

On ne sait rien de la situation de ces jeunes neuro atypiques : se sont-ils perdus dans la montagne ? Jouent-ils ? L’image pas plus que le son ne nous donnent d’éléments clairs de réponses. On ne comprendra pas grand-chose de plus, le film ne donne quasiment pas d’explications. Cette réserve, qui est aussi celle de Simón, permet au réalisateur de construire « la bulle de son récit » dans un flou intriguant. Dès la première scène dans la Cordillère des Andes, l’intention du film est claire : jouer avec l’ambigüité pour retranscrire les doutes de ces adolescents. Par la suite, la caméra de Federico Luis ne va plus s’attarder sur les sublimes paysages, mais préfère filmer les personnages et les mouvements des visages.

Dès son intégration dans le groupe, Simón suit partout Pehuén, il l’accompagne au centre, à la piscine, dans les jeux qu’ils investissent. Simón découvre les avantages qu’il y a à feindre le handicap, dont Pehuen lui enseigne toutes les astuces. Il adopte les attitudes propres au groupe par des gestes extérieurs : regards, postures, manière de parler,…

Le jeune homme ressent pour ses nouvelles connaissances une amitié profonde qui, tout en ravivant des blessures, réveille des pans de sa personnalité. Simon se reconnaît et surtout se rencontre. Il découvre la fraternité, la tendresse, la sexualité, la violence, la liberté : il accède à la part la plus vraie de son humanité.

Avec ceux qu’il considère comme ses pairs, il est un modèle de douceur, de prévenance, alors qu’il devient violent et mutique dès qu’il se retrouve avec sa mère et son beau-père. Dans sa famille, Simón se fait réprimander lorsque la supercherie est découverte. « Arrête ! Simón Tu te moques de ces gens-là » lui reproche sa mère tandis que son beau-père le critique constamment. Ces figures parentales apparaissent déconnectées de Simón, qui fuit tant que possible ce foyer familial oppressif. Ce jeune héros continue de vivre entre ces deux mondes : d’un côté, les figures du désir (les amis, les activités du centre, l’exploration des sens) et de l’autre, des corps fermés et brutaux (les parents, la cuisine et le travail). En se rapprochant de plus en plus du monde des neuro atypiques, Simón devient peu à peu ce qu’il prétend être. Le handicap, loin d’être un simple subterfuge, s’intègre à son identité en écho à son évolution personnelle. Il traverse une expérience de transformation : c’est une réconciliation avec lui-même, avec sa place dans le monde et son rapport à l’altérité. Il semble être dans une bulle protectrice qui symbolise un espace de repli, un besoin de protection, un refuge temporaire face aux pressions extérieures, à la peur de grandir et d’affronter la réalité.

Cependant le film nous laisse dans l’incertitude : Pourquoi ce jeune homme mime-t-il une pathologie?  Simón a-t-il subi une transformation profonde ou continue-t-il à se dissimuler derrière un mensonge ? Quelles sont ses motivations ? Joue-t-il un rôle, est-il devenu quelqu’un d’autre ?

Ce premier long métrage de Federico Luis, questionne notre regard sur le handicap. Il pose un regard tendre sur le handicap physique et mental, le rôle des familles qui acceptent de telles situations et celles qui sont dans le déni. Mais la question centrale du film met davantage en scène le passage d’un monde à un autre. Le cinéaste filme l’adolescence, les premiers émois et les amours de jeunesse. Son point de vue est altruiste, il filme la beauté du monde à travers le regard de jeunes personnes en situation de handicap, et ce dans toutes leurs richesses.

Simón de la montaña travaille avec les codes du « teen movie » et du « coming of- age film ». Le « teen movie » est un film d’adolescent qui montre la vie quotidienne d’un personnage principal ou d’un groupe de jeunes confrontés au monde des adultes et au regard des autres. Le « coming-of-age film », est un sous-genre du « teen movie » qui a pour particularité de mettre en scène un parcours initiatique vers l’âge adulte. Ces films sont alors souvent marqués par un des personnages en pleine introspection qui connaît un bouleversement émotionnel et identitaire. C’est ici le cas de Simón.

Simón de la montaña est une œuvre déroutante par son refus d’expliquer les intentions de son héros, un personnage fascinant qui navigue entre deux mondes et dont le film ne nous dira jamais s’il joue ou s’il finit par devenir celui qu’il choisit d’être. La caméra ne se détache jamais du visage de Simon. La mise en scène privilégie la proximité avec les corps et les espaces, jouant sur les frontières physiques et symboliques que les protagonistes franchissent.

Avec cette œuvre, Federico Luis démontre le style singulier de la nouvelle vague du cinéma de son pays, regorgeant de jeunes talents qui émergent sur la scène cinématographique argentine.

Philippe Cabrol

#analysesdefilms

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