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Piccolo Corpo

Mardi 22 février, au cinéma Diagonal à 18h, Chrétiens et Cultures et PRO-FIL ont animé un débat sur le film : Piccolo Corpo Réalisatrice : Laura Samani Genre : drame Nationalité : italienne Durée : 1h28mn Sortie : 16 février 2022

Piccolo corpo, premier long métrage de la réalisatrice italienne Laura Samani, débute par un rituel magique. Le sourire aux lèvres, Agata est accompagnée au bord de la mer par toutes les femmes de son village. Ce qui se trame alors, seules elles le savent : comme si le film nous rappelait d’emblée qu’il existe certains secrets, savoirs ou expériences qui ne peuvent être communes qu’aux femmes, qui ne peuvent se transmettre qu’au sein d’une même communauté, et que cela mérite une observation muette et respectueuse. A ce rituel doux en succède rapidement un autre, bien plus violent. Enceinte dans la première scène, Agata perd son enfant. Malgré son état de santé, elle décide d’amener le corps de celui-ci dans un endroit dit magique, où il pourrait peut-être revenir à la vie. Laura Samani s’inspire de sanctuaires qui ont bel et bien existé dans le nord-est de l’Italie, et ce jusqu’au 19e siècle. En effet, Agata ne peut se résoudre à l’idée que l’âme de sa fille soit condamnée à errer dans les limbes. Il existerait un endroit dans les montagnes où son enfant pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Avec l’aide de Lynx, Agata se lance donc dans un voyage à la recherche du miracle.En portant sa fille morte sur son dos, Agata développe toutes ses capacités à se battre, elle n’accepte pas le malheur qui la frappe, elle est la seule à se révolter. Elle veut donner un prénom à sa fille. Son voyage est aussi une manière de prolonger la relation symbiotique entre mère et fille, qu’Agata a vécue pendant des mois, une sorte de continuation de sa grossesse, où le poids du bébé passe de son ventre à son dos et pèse lourd sur ses épaules. Son voyage est physique, mais devient également transcendantal. Elle ne réalise pas que, pour continuer sa mission, elle doit se transformer et devenir une morte parmi les vivants.Agata et Lynx sont deux solitaires qui vivent leur isolement de façon différente, mais qui affrontent le même problème d’identité. Agata doit donner un nom à safille. « Sans nom, c’est comme si tu n’existais pas », dit-elle à Lynx. Lynx abrite plusieurs personnes en elle. Sa quête est si complexe qu’elle a décidé de changer son nom pour qu’on ignore son véritable patronyme. Alors que le voyage est une sorte de rédemption pour Lynx, Agata reste prisonnière de son élan. C’est une personne qui ne change pas : Elle a choisi de tout quitter pour se rendre au sanctuaire, et, pour elle, les choses s’arrêtent là. Elle est incapable des’adapter, d’admettre l’échec. En un sens, elle est un archétype maternel : en tant que mère, elle accepte la souffrance, le sacrifice. Lynx est rusée, sauvage et fermée à tous. Pour elle, aimer équivaut à se compromettre et s’affaiblir. Le mélange de masculinité et de féminité qu’elle porte lui permet de survivre. En rencontrant Agata, puis en lui offrant sa protection, elle reçoit en échange tout ce qui est essentiel à la survie : l’attachement profond à un être aimé, l’engagement, la sensation d’appartenance à quelque chose qu’on ne peut pas contrôler et qui rend vulnérable. Elle est comme l’enfant d’Agata, une âme qui erre. Lynx va montrer le chemin à Agata, c’est sa boussole, 0 Un chemin physique, mais aussi spirituel : la guide va apprendre de son côté le don de soi, l’amour de son prochain et sa part obscure, le deuil d’un être aimé. Elle qui s’imaginait disparaître dans l’indifférence, elle sait qu’elle compte désormais aux yeux de quelqu’un.Laura Samani filme des comédiens s’exprimant dans leurs propres dialectes, quasi jamais entendus dans le cinéma contemporain (le frioulan et le vénète), elle filme des croyances se situant hors du cadre de la chrétienté traditionnelle. Elle brosse ainsi le portrait d’une féminité marginale, inattendue, rarement vue ailleurs.Piccolo Corpo est un long-métrage aussi bien féministe que mystique, nous invitant à porter un autre regard sur notre rapport à la mort et à l’au-delà.

Philippe Cabrol

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